La course à la mort de l’an 2000

de Paul Bartel, 1975, ****

Après l’ef­fon­dre­ment de l’é­co­no­mie natio­nale, l’État amé­ri­cain a repris une recette vieille comme le monde mais tou­jours effi­cace : assu­rer au peuple le mini­mum et la dis­trac­tion pour évi­ter l’ex­plo­sion. Côté dis­trac­tion, c’est une grande course auto­mo­bile trans­con­ti­nen­tale qui est uti­li­sée : cinq voi­tures pilo­tées par des équi­pages mixtes sont lan­cées de New York à Los Angeles. Le clas­se­ment s’é­ta­blit sur une com­bi­nai­son du chro­no et de points acquis en écra­sant les passants.

Alors voi­là, en prin­cipe, c’est une série B minable avec Stallone et Carradine dans les rôles prin­ci­paux. Mais en fait, ça va bien plus loin : le côté violent est plei­ne­ment assu­mé, et uti­li­sé comme écho expli­cite à la socié­té amé­ri­caine de l’é­poque. Le film est en cela symp­to­ma­tique non seule­ment d’un pays qui se cherche et doute de sa légi­ti­mi­té après une opé­ra­tion légè­re­ment foi­rée dans un pays asia­tique (qui, sept ans plus tard, sera ques­tion­née encore plus direc­te­ment dans Le pre­mier sang de Ted Kotcheff), mais qui s’est construit sur une inva­sion et dont les héros sont des hors-la-loi et des mar­shalls à peine plus hon­nêtes. C’est ici pré­sen­té comme une carac­té­ris­tique essen­tielle des États-Unis : on aime la vio­lence, l’his­toire est vio­lente et c’est bon pour le pays.

L’ironie et l’hu­mour noir sont bien enten­dus au ren­dez-vous, comme lorsque Frankenstein — pilote héros de la nation, double vain­queur de la course et plu­sieurs fois acci­den­té — passe devant une mai­son de retraite dont les pen­sion­naires ont été pla­cés sur la route, et pré­fère sau­ter la haie pour écra­ser la ving­taine de tou­bibs qui avaient orga­ni­sé cette régu­la­tion de popu­la­tion. Parce que bon, mar­quer, c’est bien, mar­quer avec style, c’est mieux. Ce n’est pas le seul exemple de cynisme retour­né contre ses orga­ni­sa­teurs — les­quels remontent hié­rar­chi­que­ment jus­qu’au pré­sident de la République, rien de moins — et c’est somme tout assez marrant.

Et puis, l’autre truc amu­sant, c’est qu’on ima­gine mal faire un film aus­si ouver­te­ment amo­ral de nos jours. D’ailleurs, un remake récent, La course à la mort de Paul Anderson, est bien plus moral ne serait-ce que parce que seuls des pri­son­niers condam­nés sont butés au lieu de trans­for­mer le pays lui-même en arène. Malgré tous nos beaux dis­cours sur la liber­té artis­tique et la pos­si­bi­li­té d’o­ser, j’ai per­son­nel­le­ment assez peu de doute sur le fait que ce genre de série B aurait beau­coup de mal à trou­ver un dis­tri­bu­teur aujourd’hui.