La servante écarlate
|de Bruce Miller, 2017, *
N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.
Simone de Beauvoir
La pollution a gagné, la fécondité s’est effondrée, la médecine ne parvient plus à aider les puissants à avoir des enfants. Du coup, les humains éperdus se sont adressés à Dieu et, comme d’habitude, celui-ci a indiqué une méthode simple et efficace, laissant à l’homme sa place de dominant et à la femme sa place de bétail :
[Rachel] dit : « Voici ma servante, Bilha. Va vers elle, qu’elle conçoive sur mes genoux, et que par elle j’aie des enfants. » Elle lui donna pour femme sa servante, Bilha, et Jacob alla vers elle. Bilha devint enceinte et eut un fils de Jacob. Rachel dit : « Dieu m’a rendu justice, il a entendu ma voix et m’a donné un fils. »
Genèse 30:3–6
Ainsi, les rares femmes fécondes ont le rôle sacré de « servantes ». Tous les mois, au milieu de leur cycle, elles prennent place sur les genoux de la maîtresse de maison pour la cérémonie, où le maître de maison va faire ce qu’il peut pour les engrosser.
Et, comme le titre original (The handmaid’s tale, littéralement « le conte de la servante ») l’indique, cette histoire sordide est racontée du point de vue d’une de ces femmes esclaves dont la seule raison d’être est d’enfanter.
L’idée est un peu poussée, mais bonne. Les hommes, après tout, cherchent à planter leur queue n’importe où, c’est bien connu ; et rien de mieux qu’un prétexte religieux associé à la complicité d’épouses en mal d’enfants pour en profiter. Ça peut paraître exagéré, mais il suffit de voir des photos de Kaboul en 1970 et aujourd’hui pour comprendre que l’obscurantisme peut toujours revenir de manière aussi brutale qu’inattendue — et là, l’histoire est basée sur un coup d’État de fanatiques religieux. Quant à la question spécifique du droit à contrôler sa fécondité, sa disparition est un grand classique de l’anticipation, du cynique centre de natalité de La foire aux immortels à la déchirante interdiction de l’IVG dans Battlestar Galactica.
Mais cette série, construite sur des fondations solides et profitant d’une réalisation très étudiée, a un gros problème : le rythme.
Le roman fait trois cents pages. Bien entendu, tout dépend du style, de la densité de l’auteur (ou de l’autrice en l’occurrence), mais en gros, on sait qu’il est déraisonnable de tirer plus de trois heures de film d’un roman de trois cents pages. En série, on peut toujours un peu délayer, amplifier certains détails, reprendre des morceaux pour faire prendre l’ambiance, mais par pitié, à moins de créer des pans entiers d’univers, ne dépassons pas cinq ou six heures. Ici, on a sept heures de série et, sans surprise, c’est lent. Mou, même.
C’est dramatique, parce qu’on a une bonne matière, une réalisation soignée, des acteurs bien dirigés, des enjeux de société en plus des objectifs individuels, des personnages bien écrits, des situations variées, des références pertinentes à la religion et à l’histoire, tout ce qu’il faut pour créer une ambiance épaisse et étouffante ; et ce qu’on obtient, c’est une sauce claire qui peine à prendre.
Il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas autant ennuyé devant une série aussi complexe et importante. Ou que je n’avais pas autant apprécié un tel somnifère. En tout cas, je pouvais somnoler la moitié d’un épisode et retrouver l’action là où je l’avais laissée, et ça, ça n’est jamais bon signe.