Vaiana, la légende du bout du monde
|de John Musker et Ron Clements, 2016, ***
J’ai connu une Vaiana : elle était interne dans un lycée où j’étais pion. Une gamine sympa, marrante, fan de course d’orientation comme la moitié de sa classe. Et qui, me voyant faire la gueule un jour où elle m’avait appelé « Franky » (mes élèves pouvaient m’appeler « Franck », « Cro-Magnon », « L’ours » ou « Hagrid » sans que ça me dérange, mais « Franky », j’ai jamais supporté), s’est immédiatement excusée en ajoutant : « c’est vrai que si on m’appelait Vagniagnia, ça me ferait pas plaisir non plus ».
Fin de la minute Madeleine, revenons à nos moutons.
Vaiana, la légende du bout du monde a une immense qualité : je crois que c’est le premier Disney où on a une héroïne forte, indépendante, qui s’appuie évidemment sur un mâle surpuissant pour mener sa quête (on va pas tout révolutionner d’un coup non plus), mais qui au bout du compte la résout elle-même et ne se sent pas obligée d’embrasser qui que ce soit pour réussir sa vie. Les réflexes de la maison étant ce qu’ils sont, j’imagine qu’un Vaiana 2 sortira en direct-to-video chez DisneyToon pour nous expliquer qu’elle est mariée et qu’elle a des enfants, mais en attendant, un Disney sans histoire d’amour gnangnan à l’intérieur, ça se refuse pas !
Il a plein d’autres très bons points, à commencer bien sûr par des qualités techniques indéniables — animation particulièrement fluide, rendu de l’eau absolument sublime, gestion du rythme irréprochable… Il fourmille de petits trucs et il m’est arrivé plus d’une fois de zapper les héros parce qu’un élément secondaire attirait l’action : les tatouages de Maui, notamment, sont souvent mis en avant, mais racontent en fait en permanence leur propre histoire même dans des scènes où ils sont réduits au niveau de détails.
Il y a aussi ces multiples clins d’œil destinés directement aux adultes de la salle — je ne pense pas que la cible principale soit censée avoir vu Abyss, Mad Max : fury road ou même Princesse Mononoke. Sans aller jusqu’à ajouter un vrai deuxième niveau de lecture à ce qui reste une quête initiatique plutôt sommaire, ça permet de maintenir l’attention des plus grands, dont beaucoup sont là pour accompagner leurs petits plus que pour voir le film.
Oui, parce que fondamentalement, on est quand même plutôt dans le film pour enfants. Le scénario avance en ligne droite, se déroule sans grande surprise et est souvent très prévisible — surtout que, tant qu’à plagier, Disney a choisi de se plagier lui-même : dans la mise en place, des scènes entières semblent calquées sur Rebelle. Ça n’est pas la petite seconde d’auto-dérision sur les « princesses Disney » qui va totalement rattraper le coup : globalement, ça manque de surprise et d’originalité.
Et il y a un truc vraiment dramatique. Non mais vraiment.
Les chansons.
On n’a pas trop l’habitude, dans notre monde occidental, d’entendre des musiques polynésiennes. Du coup, vu que les héros sont du coin, pourquoi ne pas s’en être inspirés ? Les paroles sont d’une qualité variable (faudra que j’essaie de le voir en VO à l’occasion), mais les musiques sont une soupe pop composée avec l’inspiration d’un poisson rouge asthmatique, un peu comme si Zaz reprenait les Hanson. Rien de polynésien, rien de subtil, rien d’autre que du calibré pour oreilles occidentales blasées. L’avantage, c’est que, au contraire de bien des trucs de chez Disney, dix minutes après la fin du film, mon cerveau avait déjà évacué 100 % des airs entendus ; l’inconvénient, c’est que, aux premières notes accompagnant une phrase d’un personnage, on sait qu’on va se les briser menues pendant cinq minutes.
À la seconde où j’ai écrit ça, je me suis dit : « il y a quand même le crabe qui a une chanson plus sympa ». Et puis j’ai repensé au crabe, j’ai réalisé qu’il pompe des éléments du roi Louie, et j’ai Être une homme comme vous dans l’oreille — et impossible de retrouver une note de la chanson du crabe. Je pense que ça signe malheureusement assez bien l’échec musical que représente Vaiana, la légende du bout du monde…
Je veux pas avoir l’air trop sévère : dans l’ensemble, le film fait passer un bon moment et certains passages fonctionnent vraiment très bien, notamment tout ce qui repose sur le poulet. Mais le message final (petit spoiler, sélectionnez pour lire : voler le cœur de quelqu’un, ça le transforme en monstre) est un peu facile, le scénario manque un peu de profondeur et les chansons sont franchement pauvres. Du coup, c’est un peu un mélange de satisfaction et de frustration, qui peine à dépasser le simple « sympa » au moment de trouver un qualificatif.