L’ombre du vampire
|de E. Elias Merhige, 2000, ****
Nous sommes en 1921. Friedrich Murnau réalise Nosferatu le vampire, adaptation non-autorisée du roman Dracula. Soucieux de réalisme, il va en Slovaquie chercher le château le plus lugubre possible, embauche des paysans pour jouer les paysans, n’informe que très succinctement les acteurs pour garder leurs émotions naturelles, et impose dans le rôle du vampire l’original Max Schreck. Celui-ci ne se présente jamais sous d’autres traits que ceux de Nosferatu, met mal à l’aise l’ensemble de l’équipe, inspire une terreur absolue au directeur de la photographie, mais cette ambiance de tournage tendue donne naissance au tout premier chef-d’œuvre du cinéma d’horreur.
L’ombre du vampire, c’est l’histoire fantasmée de cette création, l’histoire de comment Murnau, décidé à faire un film exceptionnel, impose un acteur extraordinaire et terrifiant, des conditions de travail démentes et une angoisse permanente à toute son équipe. En somme, l’histoire d’un réalisateur génial qui, tel le vampire du film, suce jusqu’à la moelle ceux qui ont le malheur de travailler sous ses ordres, et d’un acteur beaucoup trop bon pour être totalement innocent. Bref, la rencontre de Faust et de Dracula.
Logiquement, L’ombre du vampire joue avec les codes du film d’horreur et, plus particulièrement, de vampire. Les ambiances nocturnes et les caves sinistres, les scènes qui se déroulent bien mais qui instillent un discret malaise, les personnages ambigus ou franchement psychopathes, tout est là, accompagné de nombreux clins d’œil au cinéma muet. La réalisation est assez discrète, la photo joue beaucoup sur les clairs-obscurs mais reste raisonnablement banale, bref, c’est une série B vaguement horrifique tout à fait normale, sauf…
Sauf qu’il y a deux grands acteurs. Le film repose entièrement sur les épaules de Malkovich et Dafoe (chacun servant son numéro avec un mélange étonnant de sobriété et d’extravagance), ainsi que sur ceux qui leur donnent la réplique. L’ensemble peut être vu comme une déclaration d’amour envers les acteurs : ceux qui sont mauvais mais d’une bonne volonté ineffaçable, ceux qui jouent leur rôle jusqu’au bout, ceux dont le talent éternel sauve les films. Et de fait, L’ombre du vampire doit énormément à son casting, capable de faire passer tous les dialogues avec conviction — je noterai en particulier la tirade de Dafoe sur Dracula, magnifiquement servie.
À l’heure du bilan, nous n’avons pas vraiment affaire à un grand film. Mais les différentes lectures possibles, les clins d’œil bien intégrés, et surtout la prestation des acteurs principaux forment finalement une distraction de qualité, bien meilleure que ce qu’on attendrait au vu du seul script.