Where to invade next
|de Michael Moore, 2015, ***
Vous connaissez sans doute la méthode Michael Moore : mettre un gros coup de loupe sur ce qui ne va pas aux États-Unis, éventuellement en faisant des comparaisons plus ou moins orientées avec des pays étrangers, en se mettant personnellement beaucoup en avant et en reprenant pas mal de recettes américaines pour parler avant tout aux Étasuniens.
Dans son nouvel opus, il pousse cette recette encore un peu plus loin en ne mettant quasiment plus les pieds aux États-Unis. C’est un tour d’Europe qu’il s’offre ainsi, visitant tous ces pays où l’impôt permet d’avoir des écoles, des universités, des hôpitaux gratuits, où tous les employés ont droit à des congés payés et où un accouchement n’oblige pas à choisir entre trois mois sans un sou et retourner au bureau avant même d’avoir donné la première tétée. Avec, en bonus, un petit tour dans le système carcéral norvégien, où les détenus tout-venant sont installés dans des maisons sur une île et où les QHS laissent encore un semblant de dignité aux prisonniers.
Totalement honnête ? Absolument pas. La vision des Français, des Italiens ou des Islandais (pour rester sur des gens que j’ai un peu vus) est d’une naïveté certaine… ou part simplement d’une volonté de sélectionner les exemples pour bien montrer ce qui ne fonctionne pas aux États-Unis.
Mais certains points méritent tout de même qu’on s’y attarde, notamment parce qu’il montre accidentellement des choses qui ne vont pas chez nous. Par exemple, les fiches de paie françaises, extraordinairement complexes, qu’à peu près tout le monde veut rendre plus lisibles en fusionnant les taxes, impôts et cotisations : pour Michael Moore, c’est une très grande force de notre système que d’indiquer ainsi où va l’argent (même si ça ne dit pas forcément à quoi il sert). Et de dire : si le salarié américain voyait que sous sa ligne « taxes et impôts », il y a 60 % de dépenses militaires, peut-être qu’il réfléchirait à deux fois aux prochaines élections. Notre envie récente de simplifier serait-elle donc une erreur ? Ça mériterait en tout cas une réflexion poussée.
De même, la présentation de la justice norvégienne, même très orientée, est passionnante pour un citoyen d’un pays régulièrement condamné par la Cour européenne des Droits de l’homme pour l’insalubrité de ses centres de détention. Et si je suppose que les interviewés ont été sélectionnés avec soin, voir les réactions des Norvégiens après Utøya et comparer avec ce qu’on entend chez nous depuis deux ans peut faire réfléchir sur notre propre niveau de civilisation.
Sur la forme, Where to invade next retrouve un peu de l’humour noir et du cynisme des précédents Moore et est donc plus réussi que Capitalism : a love story. Il n’a cependant pas le côté primesautier des meilleurs passages de Roger et moi ou The big one : Moore semble avoir définitivement accepté qu’il faisait des films à message qui devaient avoir un fond.
Au bout du compte, le film est parfois amusant, parfois naïf, souvent intéressant et susceptible de faire réfléchir, toujours orienté et parfois franchement manipulateur, bref, c’est un bon Michael Moore, mais qui se prend un peu trop au sérieux par moments.