Comancheria
|de David Mackenzie, 2016, ****
Pour résumer l’histoire, c’est simple : dans l’ouest du Texas, deux frères braquent méthodiquement les agences d’une banque afin de rembourser le prêt hypothécaire qu’elle leur a accordé, pendant que deux rangers tentent de les arrêter. Voilà, rien à ajouter.
Sauf que Comancheria dépasse largement la simple narration de son histoire. C’est un portrait régional qui présente péquenots et flics texans, leurs mentalités et leur vision des choses, qu’il s’agisse de lynchages et d’humour raciste ou de compréhension et d’assistance dans l’adversité. C’est un film social qui montre comment l’obligation de rembourser « quelles que soient les circonstances« ¹ contraint un honnête père de famille à aller chercher de l’argent là où il se trouve. C’est presque un film politique sur les saisies immobilières, le pouvoir des banques, la pauvreté du Southwest et leurs conséquences sur la vie des travailleurs ordinaires.
C’est, surtout, un putain de western, un vrai, un grand, avec ses paysages où il faut vingt hectares pour nourrir une vache, ses ranches éparpillés à des kilomètres les uns des autres, ses grandes plaines arides à peine interrompues par une mesa ou un derrick. La photo particulièrement soignée de Gilles Nuttgens rend superbement l’environnement, sa beauté et son hostilité, le cuir épais des rednecks et même la laideur de certains coins — le ranch des frangins n’est pas un endroit idyllique, mais un trou poussiéreux où l’arrière-plan est toujours occupé par une citerne de gaz, un engin agricole ou une rangée de barbelés.
Bien sûr, ça se passe de nos jours, mais on retrouve structure et recettes du western policier classique, comme si finalement, cent cinquante ans plus tard, la crise, le capitalisme et l’évolution des choses avaient recréé la « frontière », d’autant plus facilement que la nature des hommes du coin n’a guère changé depuis les frères Dalton².
Je toucherai forcément un mot de la bande originale, qui sent le bistrot poussiéreux, le mauvais whisky et le chanteur fatigué, et colle donc parfaitement à l’ambiance du film.
Le résultat est un très bon polar, un western moderne remarquable, souvent triste et désabusé sans être exempt d’une certaine ironie, qui trace ses portraits par petites touches, l’air de rien, sur un scénario qui pourrait paraître trop simple mais n’est en fait qu’un support aux petites subtilités de la vraie œuvre.
¹ Le titre original, Hell or high water, fait référence à une clause de certains emprunts américains qui stipule que l’emprunteur doit rembourser « come hell or high water », littéralement que vienne l’enfer ou le déluge — une provision qui l’empêche d’invoquer l’impossibilité ou la force majeure pour retarder son remboursement.
² Les frères Dalton ne sont pas intervenus au Texas, mais leur histoire est relativement similaire : honnêtes citoyens travaillant dans les forces de l’ordre, c’est lorsqu’ils n’ont plus pu gagner leur vie de cette manière qu’ils se sont mis à braquer des banques et des trains.