Colonia
|de Florian Gallenberger, 2015, ****
Son nom officiel est Société charitable et éducative Dignité, mais on l’appelle plus souvent « colonie Dignidad ». C’est un ensemble de terrains de près de 14 000 hectares, soigneusement protégé de l’extérieur, où s’est installée une société religieuse souhaitant vivre en autarcie. Ses quelques centaines d’occupants travaillent ainsi aux champs, enseignent aux enfants de la région et soignent les paysans, dans l’harmonie et l’amour de Dieu.
Première particularité : Dignidad a été fondée par quelques dizaines d’Allemands, vestiges d’une précédente communauté chrétienne rhénane. Deuxième particularité : elle est dirigée par le même gourou que celle-ci, Paul Schäfer, qui a quitté l’Allemagne pour fuir des accusations récurrentes de viol sur mineur. Troisième particularité : les témoignages des anciens adeptes ayant fui la colonie sont mystérieusement oubliés dans la foulée du coup d’État de Pinochet… et ce n’est que quinze ans après la transition démocratique que les enquêtes seront reprises et révéleront que, outre les violences aux adeptes, le travail forcé et le viol d’enfants, Dignidad servait de base arrière à la Dina pour détenir, torturer et exécuter des opposants politiques (éventuellement en testant des armes bactériologiques au passage).
C’est cette colonie que présente le film. S’il s’est basé sur des événements historiques, c’est via un couple totalement inventé que Florian Gallenberger aborde le sujet : pour éviter à son pays de n’avoir que le mauvais rôle, il raconte l’histoire de Daniel, contestataire allemand arrêté peu après le coup d’État, interrogé et détenu dans la colonie, et de sa copine Lena, qui se fait passer pour une jeune femme en crise de foi pour essayer de le retrouver.
Du coup, malgré son environnement historique, Colonia est un thriller sectaire assez classique, avec son maître ès endoctrinement, son damoiseau en détresse, sa hardie chevalière, ses sadiques et ses complices. Rien de gênant là-dedans : c’est bien fait, le rythme est parfaitement géré, le duo Brühl-Watson fonctionne étonnamment bien et Nyqvist est comme toujours absolument glaçant dans son rôle d’ancien nazi. Quelques rebondissements sont un peu faciles et prévisibles et la scène de l’aéroport est clairement celle de trop (sans compter qu’elle est pompée sur le finale d’Argo), mais dans l’ensemble cela reste prenant et haletant.
Beaucoup de biopics surfent sur un événement historique connu, tout en injectant une bonne dose de fiction pour retenir l’attention. C’est à peu près le contraire que fait Colonia : il utilise une fiction complète, assumée comme telle, pour présenter et mettre un lumière un fait réel méconnu. L’approche est sans doute bonne : c’est un thriller efficace, bien mené, équilibré, et ça peut pousser à s’intéresser un peu à l’étrange impunité dont certains anciens nazis ont pu bénéficier en échange de petits services…
Et pour finir sur une note personnelle : ça fait plaisir de voir que quelqu’un a expliqué aux acteurs comment tenir un Nikon F. Ça m’arrache trop souvent les yeux, ces films où des personnages tiennent des vieux boîtiers manuels comme du tout automatique récent…