Colonia

de Florian Gallenberger, 2015, ****

Son nom offi­ciel est Société cha­ri­table et édu­ca­tive Dignité, mais on l’ap­pelle plus sou­vent « colo­nie Dignidad ». C’est un ensemble de ter­rains de près de 14 000 hec­tares, soi­gneu­se­ment pro­té­gé de l’ex­té­rieur, où s’est ins­tal­lée une socié­té reli­gieuse sou­hai­tant vivre en autar­cie. Ses quelques cen­taines d’oc­cu­pants tra­vaillent ain­si aux champs, enseignent aux enfants de la région et soignent les pay­sans, dans l’har­mo­nie et l’a­mour de Dieu.

Première par­ti­cu­la­ri­té : Dignidad a été fon­dée par quelques dizaines d’Allemands, ves­tiges d’une pré­cé­dente com­mu­nau­té chré­tienne rhé­nane. Deuxième par­ti­cu­la­ri­té : elle est diri­gée par le même gou­rou que celle-ci, Paul Schäfer, qui a quit­té l’Allemagne pour fuir des accu­sa­tions récur­rentes de viol sur mineur. Troisième par­ti­cu­la­ri­té : les témoi­gnages des anciens adeptes ayant fui la colo­nie sont mys­té­rieu­se­ment oubliés dans la fou­lée du coup d’État de Pinochet… et ce n’est que quinze ans après la tran­si­tion démo­cra­tique que les enquêtes seront reprises et révé­le­ront que, outre les vio­lences aux adeptes, le tra­vail for­cé et le viol d’en­fants, Dignidad ser­vait de base arrière à la Dina pour déte­nir, tor­tu­rer et exé­cu­ter des oppo­sants poli­tiques (éven­tuel­le­ment en tes­tant des armes bac­té­rio­lo­giques au passage).

Le stade, épisode glaçant et très bien foutu. - photo Ricardo Vaz Palma pour Majestic
Le stade, épi­sode gla­çant et très bien fou­tu. — pho­to Ricardo Vaz Palma pour Majestic

C’est cette colo­nie que pré­sente le film. S’il s’est basé sur des évé­ne­ments his­to­riques, c’est via un couple tota­le­ment inven­té que Florian Gallenberger aborde le sujet : pour évi­ter à son pays de n’a­voir que le mau­vais rôle, il raconte l’his­toire de Daniel, contes­ta­taire alle­mand arrê­té peu après le coup d’État, inter­ro­gé et déte­nu dans la colo­nie, et de sa copine Lena, qui se fait pas­ser pour une jeune femme en crise de foi pour essayer de le retrouver.

Du coup, mal­gré son envi­ron­ne­ment his­to­rique, Colonia est un thril­ler sec­taire assez clas­sique, avec son maître ès endoc­tri­ne­ment, son damoi­seau en détresse, sa har­die che­va­lière, ses sadiques et ses com­plices. Rien de gênant là-dedans : c’est bien fait, le rythme est par­fai­te­ment géré, le duo Brühl-Watson fonc­tionne éton­nam­ment bien et Nyqvist est comme tou­jours abso­lu­ment gla­çant dans son rôle d’an­cien nazi. Quelques rebon­dis­se­ments sont un peu faciles et pré­vi­sibles et la scène de l’aé­ro­port est clai­re­ment celle de trop (sans comp­ter qu’elle est pom­pée sur le finale d’Argo), mais dans l’en­semble cela reste pre­nant et haletant.

La honte publique, toujours une bonne manière de casser les fortes têtes. - photo Ricardo Vaz Palma pour Majestic
La honte publique, tou­jours une bonne manière de cas­ser les fortes têtes. — pho­to Ricardo Vaz Palma pour Majestic

Beaucoup de bio­pics surfent sur un évé­ne­ment his­to­rique connu, tout en injec­tant une bonne dose de fic­tion pour rete­nir l’at­ten­tion. C’est à peu près le contraire que fait Colonia : il uti­lise une fic­tion com­plète, assu­mée comme telle, pour pré­sen­ter et mettre un lumière un fait réel mécon­nu. L’approche est sans doute bonne : c’est un thril­ler effi­cace, bien mené, équi­li­bré, et ça peut pous­ser à s’in­té­res­ser un peu à l’é­trange impu­ni­té dont cer­tains anciens nazis ont pu béné­fi­cier en échange de petits services…

Et pour finir sur une note per­son­nelle : ça fait plai­sir de voir que quel­qu’un a expli­qué aux acteurs com­ment tenir un Nikon F. Ça m’ar­rache trop sou­vent les yeux, ces films où des per­son­nages tiennent des vieux boî­tiers manuels comme du tout auto­ma­tique récent…