La loi de la jungle
|d’Antonin Peretjatko, 2015, ****
Souvenez-vous, c’était il y a très, très longtemps. Un temps où les comédies n’étaient pas des prétendues satires à messages, où les films n’étaient pas tous des histoires tragi-comiques pseudo-profondes, où l’on n’avait pas honte de se donner beaucoup de mal pour rire connement. Certains réalisateurs s’étaient fait une spécialité de fournir des films drôles, absurdes, gentiment délirants, sans autre volonté supérieure que de distraire. Ça nous donnait des choses comme L’homme de Rio, La vengeance du serpent à plumes ou La chèvre, où l’action la plus vive, les rebondissements les plus absurdes et les running-gags les plus cons étaient portés par des acteurs qui cabotinaient sans excès, presque délicatement, sans verser dans la caricature outrancière à chaque mimique et sans insister trois minutes sur chaque vanne.
Pour ceux qui aimaient ce genre, La loi de la jungle aura tout d’une bonne madeleine, délicatement parfumée de vanille et d’œuf frais, légèrement grillée à l’extérieur mais encore douce dedans.
Le prétexte ? Un fonctionnaire envoyé sur le chantier d’une station de ski en Guyane pour vérifier sa conformité aux normes européennes. Voilà, rien que ça, c’est con, mais c’est déjà drôle. Évidemment, ce héros ordinaire est un pleutre urbain façon Pierre Richard ou Coluche, et bien entendu il est confronté à un personnage fonceur à l’aise dans la cambrousse — en l’occurrence, c’est une femme qui reprend le rôle tenu par Depardieu ou Belmondo à l’époque. Le duo Pons-Macaigne fonctionne très bien, l’allure athlétique de celle-là en faisant un complément naturel à la bonhomie de celui-ci, et si tous les acteurs versent généreusement dans le cabotinage, ils n’exagèrent pas jusqu’à l’outrance d’un On a marché sur Bangkok. Le résultat est donc une agréable adéquation entre direction d’acteurs subtilement délirante et scénario gentiment loufoque.
Car oui, ne cherchez pas une cohérence au scénario : l’incohérence est le sujet du film. Ne cherchez pas non plus un message profond : l’œuvre égratigne bien le néocolonialisme français et l’absurde empilement de normes inapplicables hors des bureaux de leurs géniteurs, mais cela reste bon enfant et ne verse jamais dans la leçon de vie. Ça ne veut pas dire que ça soit juste lourdingue ; certains détails sont même presque fins — par exemple, sur le pouce piqué par un insecte, on connaît des scénaristes qui auraient fait huit gags plus lourds les uns que les autres, au lieu de cet écho vaguement écœurant, bien présenté et vite évacué. Et même dans l’extrême (ah, les effets du punch…), le film sait finalement garder une certaine réserve, préférant une forme de fantasme presque gracieux où d’autres auraient choisi le scabreux résolument gras.
Il y a tout de même un point qui a fait l’objet d’un travail sérieux : la jungle. Photographiée avec soin (certains plans sont même franchement jolis), présentée presque comme un personnage à part entière avec sa richesse et son côté oppressant, elle a son jeu de dangers qui ne sont pas forcément ceux qu’on attend — les mygales sont certes omniprésentes, mais tout le monde s’en fout.
Un grand film ? Sans doute pas, voyez les références citées au fil de l’article ! Mais un bon moment de distraction sans prétention, amusant, bien fichu et bien servi ? Oui, sans aucun doute.