La loi de la jungle

d’Antonin Peretjatko, 2015, ****

Souvenez-vous, c’é­tait il y a très, très long­temps. Un temps où les comé­dies n’é­taient pas des pré­ten­dues satires à mes­sages, où les films n’é­taient pas tous des his­toires tra­gi-comiques pseu­do-pro­fondes, où l’on n’a­vait pas honte de se don­ner beau­coup de mal pour rire conne­ment. Certains réa­li­sa­teurs s’é­taient fait une spé­cia­li­té de four­nir des films drôles, absurdes, gen­ti­ment déli­rants, sans autre volon­té supé­rieure que de dis­traire. Ça nous don­nait des choses comme L’homme de Rio, La ven­geance du ser­pent à plumes ou La chèvre, où l’ac­tion la plus vive, les rebon­dis­se­ments les plus absurdes et les run­ning-gags les plus cons étaient por­tés par des acteurs qui cabo­ti­naient sans excès, presque déli­ca­te­ment, sans ver­ser dans la cari­ca­ture outran­cière à chaque mimique et sans insis­ter trois minutes sur chaque vanne.

Pour ceux qui aimaient ce genre, La loi de la jungle aura tout d’une bonne made­leine, déli­ca­te­ment par­fu­mée de vanille et d’œuf frais, légè­re­ment grillée à l’ex­té­rieur mais encore douce dedans.

À ma gauche, Dominique Lavanant. À ma droite, Claude Brasseur. "Ben quoi, z'avez jamais vu garer une Méhari ?" - photo Haut de Court
À ma gauche, Dominique Lavanant. À ma droite, Claude Brasseur.
« Ben quoi, z’a­vez jamais vu garer une Méhari ? » — pho­to Haut de Court

Le pré­texte ? Un fonc­tion­naire envoyé sur le chan­tier d’une sta­tion de ski en Guyane pour véri­fier sa confor­mi­té aux normes euro­péennes. Voilà, rien que ça, c’est con, mais c’est déjà drôle. Évidemment, ce héros ordi­naire est un pleutre urbain façon Pierre Richard ou Coluche, et bien enten­du il est confron­té à un per­son­nage fon­ceur à l’aise dans la cam­brousse — en l’oc­cur­rence, c’est une femme qui reprend le rôle tenu par Depardieu ou Belmondo à l’é­poque. Le duo Pons-Macaigne fonc­tionne très bien, l’al­lure ath­lé­tique de celle-là en fai­sant un com­plé­ment natu­rel à la bon­ho­mie de celui-ci, et si tous les acteurs versent géné­reu­se­ment dans le cabo­ti­nage, ils n’exa­gèrent pas jus­qu’à l’ou­trance d’un On a mar­ché sur Bangkok. Le résul­tat est donc une agréable adé­qua­tion entre direc­tion d’ac­teurs sub­ti­le­ment déli­rante et scé­na­rio gen­ti­ment loufoque.

Car oui, ne cher­chez pas une cohé­rence au scé­na­rio : l’in­co­hé­rence est le sujet du film. Ne cher­chez pas non plus un mes­sage pro­fond : l’œuvre égra­tigne bien le néo­co­lo­nia­lisme fran­çais et l’ab­surde empi­le­ment de normes inap­pli­cables hors des bureaux de leurs géni­teurs, mais cela reste bon enfant et ne verse jamais dans la leçon de vie. Ça ne veut pas dire que ça soit juste lour­dingue ; cer­tains détails sont même presque fins — par exemple, sur le pouce piqué par un insecte, on connaît des scé­na­ristes qui auraient fait huit gags plus lourds les uns que les autres, au lieu de cet écho vague­ment écœu­rant, bien pré­sen­té et vite éva­cué. Et même dans l’ex­trême (ah, les effets du punch…), le film sait fina­le­ment gar­der une cer­taine réserve, pré­fé­rant une forme de fan­tasme presque gra­cieux où d’autres auraient choi­si le sca­breux réso­lu­ment gras.

Voyons, est-ce que mon nouveau copain est aux normes ISO 9002 ? - photo Haut et Court
Voyons, est-ce que mon nou­veau copain est aux normes ISO 9002 ? — pho­to Haut et Court

Il y a tout de même un point qui a fait l’ob­jet d’un tra­vail sérieux : la jungle. Photographiée avec soin (cer­tains plans sont même fran­che­ment jolis), pré­sen­tée presque comme un per­son­nage à part entière avec sa richesse et son côté oppres­sant, elle a son jeu de dan­gers qui ne sont pas for­cé­ment ceux qu’on attend — les mygales sont certes omni­pré­sentes, mais tout le monde s’en fout.

Un grand film ? Sans doute pas, voyez les réfé­rences citées au fil de l’ar­ticle ! Mais un bon moment de dis­trac­tion sans pré­ten­tion, amu­sant, bien fichu et bien ser­vi ? Oui, sans aucun doute.