Quantico
|gros n’importe quoi de Joshua Safran, depuis 2015
J’ai un problème : j’ai un mal fou à arrêter un truc en plein milieu, même quand il est évident qu’il n’y aura rien à sauver. Or, le temps d’arriver au treizième épisode (qui devait boucler la première saison), la production de Quantico avait allongé celle-ci à vingt-deux épisodes. Six mois plus tard, j’hésite entre la satisfaction d’en être venu à bout, la joie vicelarde d’avoir vu les scénaristes creuser encore plus profond sur la deuxième moitié, et l’impression d’avoir perdu seize heures de ma vie.
L’idée de base n’est pas forcément mauvaise : suivre en parallèle la formation d’apprentis agents du FBI et d’une enquête, un an plus tard, à laquelle ils seront quasiment tous mêlés d’une manière ou d’une autre et qui fait évidemment appel à ce qu’il ont appris à l’école.
Le problème, énorme, est la construction des personnages. Il y a, aux États-Unis, environ 16 % d’Hispaniques, 12 % de Noirs, 5 % d’Asiatiques, 3 à 5 % de Moyen-Orientaux et de Maghrébins, 1 % de Natifs ; 48 % de Protestants, 21 % de Catholiques, 2 % de Juifs, 1 % de Musulmans, 1 % d’Hindouistes et de Bouddhistes, 7 % d’athées et d’agnostiques ; 49 % d’hommes et 51 % de femmes… Et Quantico est la première série où j’ai l’impression de voir un casting entièrement basé sur la méthode des quotas : bien entendu, les recrues sont toutes jeunes, mais en dehors de cela, on a tout le panel étasunien standard, soigneusement mixé pour représenter tout le monde.
Pis, les auteurs se sont donné pour mission que chaque personnage ait une histoire. Le blond de bonne famille est étouffé par sa mère députée et son père boss du FBI, la blonde snobinarde a des parents trafiquants d’armes en fuite, l’hispanique est un lanceur d’alerte saqué de la Ligue nationale de football, le juif a un passé trouble du côté de Gaza, les arabes sont jumelles et ont des comptes à régler entre sœurs et avec la religion, l’indienne a abattu son père qui battait sa mère, le prof a commis et couvert des erreurs policières tout au long de sa carrière, la directrice a un fils supposé terroriste, etc. Sur cinquante personnes, il n’y en a pas une qui ait grandi tranquillement avec des parents qui l’aimaient, dont le plus grand drame soit de s’être fait plaquer à quinze ans par la jolie fille de la classe, qui ait décidé de devenir agent sans grande cause ou vendetta personnelle à mener, bref, qui soit ordinairement équilibré, sans passé mystérieux ni histoire cachée. Du coup, c’est super lourd, archi-forcé, totalement artificiel, et il est totalement impossible d’adhérer.
Si la première moitié avait encore un semblant de cohérence avec un écho régulier entre formation à l’école (ridicule, mais passons) et enquête (maladroite, mais bref), ça part complètement en couille dans la seconde moitié : après l’attentat, les héros se mettent à courir dans tous les sens comme des canards décapités, prennent parti pour ou contre l’héroïne sans effort de logique, changent d’avis trois fois par épisode avec à chaque fois une conviction plus butée encore qu’avant, et tout le monde obéit à n’importe quel coup de fil mystérieux sans penser à alerter les autorités.
Là-dedans, les aventures des deux blondinets méritent un paragraphe rien que pour elles : outre qu’ils n’ont apparemment rien d’autre à faire que de se mettre ensemble, s’engueuler, se trahir, se remettre ensemble, qui peut croire une seconde que blondinet peut, comme ça hop, découvrir le grand secret de blondinette, enquêter dessus, démonter sa pseudo-sœur cachée, retrouver ses parents qui ont feint leur mort, puis la manipuler dans l’ombre (mais pour son bien, évidemment), sans que les autorités du FBI n’aient rien flairé lors de l’enquête préliminaire ?
On leur dit au début que pendant la formation à Quantico, les recrues vont vivre sur le campus en permanence, bosser comme des malades et n’avoir le temps de rien d’autre, mais elles passent plusieurs heures par jour à chasser des fantômes, à baiser dans les coins sombres, à faire le mur pour mener des enquêtes façon Club des cinq, et leur formation semble surtout se borner à écouter un cours de 9 h à 10 h, à faire semblant de désarmer un ennemi au corps à corps de 10 h à 11 h, puis quartier libre le reste du temps. En fait, le scénario est très conforme à ce qu’on pourrait obtenir en demandant à un enfant de 10 ans de décrire la formation des agents du FBI, un complot terroriste et une histoire d’amour, en lui laissant une demi-heure pour créer le tout et en lui interdisant toute documentation sinon c’est pas drôle.
Bien entendu, les acteurs ont tous les tics de gamins sortant de l’école de comédie et la direction ne fait rien pour les en débarrasser ; il faut dire que quand on joue des caricatures, fournir une prestation creuse et stéréotypée n’est plus un problème.
Au bout du compte, ça n’est même pas involontairement marrant comme The last ship ou autres véritables navets. C’est juste pauvre, lourd, creux et occasionnellement prétentieux. En 22 épisodes, les audiences sont tombées de plus de 7 millions de spectateurs à moins de 3,5 millions, avec une régression remarquablement constante ; c’est un des plus gros gadins que j’ai vus mais, curieusement, ABC a commandé une deuxième saison. Autant vous dire que ça sera sans moi.