The revenant
|d’Alejandro Iñárritu, 2015, *
Voilà un film-choc. 2 h 36 de voyage au bout du froid et de la haine, porté par deux bêtes sauvages qui prononcent trois mots à la semaine, avec une photo absolument sublime dans des paysages à peine moins hostiles que les hommes qui s’y promènent.
On a beaucoup parlé de la prestation de Leonardo DiCaprio ; rien à dire, c’est mérité. La douleur, la souffrance, la détermination, la haine, il fait tout cela à la perfection, bien aidé par un montage son qui rend parfaitement les gargouillis quand il essaie de parler avec la trachée encore ouverte. Le maquillage doit également être signalé : Leonardo ne serait rien sans ces plaies purulentes, ses entailles coupées jusqu’au cœur du muscle et sa gorge à moitié ouverte qui suinte au rythme de sa respiration. On a beaucoup moins parlé de Tom Hardy, qui était pourtant nommé pour l’Oscar du meilleur second rôle ; scalpé, cynique, méchant, raciste, son personnage a tout pour déplaire, mais l’acteur lui donne pourtant une certaine allure et presque une forme de panache, avec une pointe d’accent traînant et un naturel irréprochable.
Emmanuel Lubezki est le troisième homme fort du film : le soin apporté à l’éclairage, au cadrage, à l’ensemble du rendu photographique du film touche un sommet rarement atteint. Y’a peut-être pas de hasard, le monsieur a un joli bilan de photos magnifiques (Gravity, Shine a light, Le nouveau monde, Ali, …), mais ses paysages au grand-angle avec un personnage paumé au milieu sont d’un équilibre et d’une composition irréprochables, exprimant autant l’immensité du territoire que sa froidure et son hostilité.
Voilà, ça, c’est pour les bons points.
Le problème, c’est qu’un paysage au grand-angle, c’est beau. Un portrait au grand-angle, ça dépend. Tout un film au grand-angle, ça devient vite chiant. On est obligé de jouer en permanence avec la profondeur, il faut des déplacements de caméra immenses pour rendre le moindre mouvement ou passer d’un sujet à un autre, et il faut coller à un sujet si on veut éliminer les éléments parasites en bord de cadre. Iñárritu faisant en plus énormément dans le plan-séquence de deux minutes, ça donne une succession d’amples mouvements de caméra d’autant plus inappropriée que sur un grand écran, quand on est à plus de deux mètres de la toile, la perspective n’est pas du tout naturelle : la nausée qui suit est encore d’Iñárritu (ou de Jean-Pierre Jeunet, ça dépend des films). En fait, tout se passe comme si, devant la brièveté de son scénario, Alejandro avait choisi de surcompenser en multipliant les effets stylistiques, et ça se voit.
Les historiens et les géographes seront également un peu chafouins devant l’importance de la montagne, qui fait penser que l’histoire se déroule dans les rocheuses (les personnages évoquent la Yellowstone), alors que l’aventure de Glass s’est déroulée au nord-ouest de Fort Kiowa, dans ce qui est maintenant le Dakota du Sud, une région de collines plutôt que de vraies montagnes — d’ailleurs, Glass s’était orienté sur plusieurs dizaines de kilomètres en observant la butte Thunder, qui dépasse de 150 m au-dessus du fond de vallée et ne serait absolument pas visible dans un paysage montagneux. Les biologistes seront surpris de voir un grizzly maintenir sa proie d’une patte et la lacérer avec les crocs, comme un chien, alors que les ours sont beaucoup plus puissants des griffes que de la gueule et s’en servent systématiquement pour la mise à mort ; mais ils seront également étonnés que Glass puisse brutalement se remettre à marcher au bout de quelques jours alors qu’il a manifestement une jambe cassée, et ne s’arrêteront donc pas à ce détail.
Et puis, pourquoi avoir rajouté cette histoire de fils métis ? Glass n’avait pas le droit d’être énervé juste pour avoir été abandonné ? Pourquoi avoir fait massacrer Henry, qui en réalité mourut tranquillement dix ans plus tard ? Fitzgerald n’était pas assez méchant d’avoir juste abandonné Glass ?
Bref, le scénario a le même défaut que la réalisation : il en fait des tonnes, multiplie les éléments fictifs pour forcer le trait jusqu’à la caricature.
À l’heure du bilan, ce film s’avère donc long et dépourvu de finesse, créé par un auteur-réalisateur plus intéressé par ses mouvements de caméra que par son histoire ou ses personnages. Il peut être sauvé par un photo superbe et des acteurs magnifiques, ça n’en fait pas moins un moment de cinéma finalement plutôt pesant.