The finest hours

de Craig Gillepsie, 2015, **

En 1952, dans une tem­pête, deux pétro­liers du même modèle se brisent à peu près simul­ta­né­ment. Les garde-côtes se concentrent sur le Fort Mercer, qui a eu le temps d’ap­pe­ler à l’aide, et ne réa­lisent que plus tard que le Pendleton est dans la même situa­tion. Le pre­mier reçoit donc l’es­sen­tiel de l’aide (cinq vedettes, un canot du bureau des garde-côtes de Chatham et une recon­nais­sance aérienne) ; lorsque la situa­tion du second est connue, il ne reste donc qu’un seul canot de onze mètres, qui en prime prend une mau­vaise vague en fran­chis­sant la barre à la sor­tie de Chatham et perd son compas.

Le sau­ve­tage simul­ta­né du Fort Mercer et du Pendleton fait par­tie de la légende des garde-côtes amé­ri­cains ; c’est même, pour ceux de Chatham, l’heure de gloire incon­tour­nable. Il y a tout ce qu’il faut là-dedans pour faire un film : des élé­ments déchaî­nés, des opé­ra­tions de secours en haute mer avec des canots rela­ti­ve­ment petits, et sur­tout le coup du sort d’a­voir deux situa­tions mer­diques quand tout est pré­vu pour en gérer une. Et si l’hé­roïsme de l’é­qui­page du CG36500, qui a retrou­vé la poupe du Pendleton et récu­pé­ré trente-deux de ses trente-trois occu­pants, est bien connu, les hommes du CG36383, qui ont d’a­bord assis­té le Fort Mercer avant de par­tir à la recherche de la proue du Pendleton et sont res­tés en mer près d’une jour­née com­plète dans un canot et par des creux de quinze mètres, ont éga­le­ment reçu leur lot de décorations.

Les scènes de surf sont vachement bien. Mieux que dans Point break, d'ailleurs. - image Disney
Les scènes de surf sont vache­ment bien. Mieux que dans Point break, d’ailleurs. — image Disney

Mais appa­rem­ment, ce n’é­tait pas assez au goût des auteurs (du roman ou du film, je ne sais pas à quel niveau s’est pro­duit le mas­sacre) : ils ont donc pris soin d’en rajou­ter des tonnes, de trans­for­mer leurs per­son­nages en super-héros et de se concen­trer sur la seule inter­ven­tion de CG36500 sur la poupe du Pendleton, sans doute afin d’a­voir une his­toire unique, bien simple à suivre chro­no­lo­gi­que­ment sans se perdre en consi­dé­ra­tions logis­tiques. Ils ont éga­le­ment trans­for­mé leur film en his­toire d’a­mour typique du ciné­ma amé­ri­cain des années 50 — fai­sant de la femme du héros une héroïne à part entière, forte, intel­li­gente, qui a l’i­dée d’al­lu­mer les phares des voi­tures pour gui­der les navi­ga­teurs… Si vous fouillez un peu dans l’his­to­rique des garde-côtes, vous y appren­drez que la femme de Bernie Webber était malade comme un chien et inca­pable de sor­tir de chez elle à ce moment-là, qu’en fait de retrou­vailles sur la jetée à la des­cente du bateau ledit Webber a eu droit à plu­sieurs jours de mobi­li­sa­tion d’af­fi­lée sans pou­voir ren­trer à la mai­son, bref, que toute cette amou­rette est à peu près entiè­re­ment du flan.

Un scénario des années 50, une lumière des années 50, une série B des années 50. - photo Disney
Un scé­na­rio des années 50, une lumière des années 50, une série B des années 50. — pho­to Disney

Ce n’est pas le seul atten­tat his­to­rique com­mis par The finest hours, et deux au moins méritent d’être signa­lés. Dans le film, les occu­pants de la poupe du Pendelton bri­colent une barre et naviguent leur demi-pétro­lier pour l’é­chouer avant qu’il coule. C’est très grave, parce que la seule manœuvre qu’ils ont ten­tée en réa­li­té a consis­té à mettre un coup de moteur pour évi­ter l’é­choue­ment : leur mor­ceau de fer­raille était étanche et flot­tait depuis des heures et ils ne vou­laient pas prendre le risque d’ou­vrir une voie d’eau sup­plé­men­taire. Et ce coup de moteur a aug­men­té le rou­lis de la poupe et peut-être par­ti­ci­pé à son cha­vi­re­ment quelques heures plus tard. (Et du coup, non, elle n’é­tait pas échouée, sinon elle n’au­rait pas cha­vi­ré comme ça.)

Le deuxième atten­tat est une constante du film : les chefs sont tous cons. Ça fait par­tie de la stra­té­gie visant à pré­sen­ter le bar­reur de CG36500 et l’in­gé­nieur du Pendelton comme des héros, forts et plus intel­li­gents que tout le monde. Du coup, l’of­fi­cier com­man­dant les garde-côtes est pré­sen­té comme un incom­pé­tent para­chu­té qui ne connaît rien à la mer et contraint ses hommes à cou­rir des risques incon­si­dé­rés (ce que rien ne confirme dans sa bio­gra­phie) ; et le capi­taine du pétro­lier est un abru­ti qui tient à res­ter à pleine vitesse mal­gré la tem­pête (et ce, bien que les sur­vi­vants aient lar­ge­ment signa­lé dans la presse de l’é­poque qu’ils avaient déjà lar­ge­ment réduit la vitesse avant que leur navire ne se rompe). Le fait que l’in­gé­nieur reste jus­qu’au bout parce qu’il a gagné le droit de reven­di­quer la capi­tai­ne­rie de l’é­pave me pose aus­si un gros pro­blème : en réa­li­té, le der­nier homme à avoir quit­té le Pendleton est jus­te­ment le géant obèse qui, après avoir aidé tous ses cama­rades à pas­ser, est mort broyé entre le canot et le pétro­lier… On fait donc tout, ici, pour ren­for­cer le sché­ma mani­chéen du gen­til héros à l’hon­neur irré­pro­chable qui a rai­son contre son supé­rieur incons­cient et incom­pé­tent ; c’est cou­rant au ciné­ma, mais ici il est vrai­ment trop visible, trop pré­sent, trop sys­té­ma­tique et trop mal ame­né pour passer.

On peut dire ce qu'on veut, mais ça, ça marche. - photo Disney
On peut dire ce qu’on veut, mais ça, ça marche. — pho­to Disney

Dieu mer­ci, The finest hours a aus­si des qua­li­tés. Le mon­tage est soi­gné, la pho­to est un peu trop clas­sique, un peu trop rétro, mais pas désa­gréable, et les acteurs font dans l’en­semble un bon bou­lot pour faire oublier que leurs per­son­nages sont des cari­ca­tures sur pattes. Du coup, c’est un récit d’a­ven­tures plu­tôt pre­nant, avec des blocs de métal ter­ri­fiants et des masses d’eau angois­santes, avec un rythme bien géré et des points d’orgue fran­che­ment réussis.

Le pro­blème, c’est donc un peu l’ex­trême clas­si­cisme du scé­na­rio et sur­tout l’u­sur­pa­tion com­plète du label « basé sur une his­toire vraie » (ou alors, autant dire que Airport est basé sur le pre­mier vol du Boeing 707 ou, plus ridi­cule encore, que Au cœur de l’o­céan est basé sur le nau­frage de l’Essex). Ça n’en fait pas un mau­vais film (même s’il n’est pas génial non plus), mais c’est dommage.