Point break

immon­dice pseu­do-cool de Ericson Core, 2015

« Évitable, et même à évi­ter » : c’est en somme

mon sen­ti­ment, mais non : « c’est un peu court, jeune homme »

m’a dit un ami fou, qui aime mes critiques,

sur­tout la rubrique « troll », quand je deviens sadique.

Me voi­là donc contraint, puisque c’est un défi,

d’u­ser d’a­lexan­drins détaillant mon avis.

Commençons par le fait qu’il s’a­git d’un remake

d’un de ces films d’ac­tion basés sur des beaux mecs

où le bud­get biceps dépasse largement

celui qu’au­rait requis un script intelligent.

Oui, je me rase la poitrine, sinon on voit pas mes tatouages et c'est moins viril. - photo Reiner Bajo pour Warner Bros
Oui, je me rase la poi­trine, sinon on voit pas mes tatouages et c’est moins viril. — pho­to Reiner Bajo pour Warner Bros

Ces héros torses nus pra­tiquent tous les sports,

cou­rant l’a­dré­na­line en remuant leurs corps ;

en BASE jump, en varappe, en snow­board ou à pied,

ils arborent leurs muscles et leurs coupes gominées.

Leur cre­do, disons même leur vraie religion :

rele­ver huit défis, tous de plus en plus cons

dans le rêve naïf d’é­veiller les consciences

à la beau­té ter­restre et à la bienveillance

envers l’u­nique pla­nète que nous occupons.

Et tant pis si pour ça, ils pol­luent à foison :

ils com­pensent gaie­ment toutes leurs exactions

en détrui­sant sciem­ment des billets par millions

ou en pul­vé­ri­sant des roches sur des camions

— ça pol­lue encore plus, mais ils ont leurs raisons.

L’agent du FBI cen­sé les attraper

est lui-même un spor­tif et reste encore drogué

à l’ac­tion et au risque ; il pour­rait les rejoindre,

deve­nir « éco-war­rior », et on pour­rait voir poindre

un sem­blant de dilemme et de complexité.

Hélas, le scé­na­riste a dû être inquiété

par cette pers­pec­tive tel­le­ment ambiguë ;

il a donc déci­dé qu’au pre­mier coup aigu,

son petit infil­tré ren­tre­rait dans le rang

se ferait bon gar­çon pour­chas­sant les méchants.

Du coup, le scé­na­rio est tout juste indigent :

l’ac­tion nour­rit l’ac­tion, mais le cer­veau des gens

ne sera éveillé qu’accidentellement

par un sein même pas mon­tré ouvertement.

Ça plane pour moi moi moi moi moi moi moi. - photo Reiner Bajo pour Warner Bros
Ça plane pour moi moi moi moi moi moi moi. — pho­to Reiner Bajo pour Warner Bros

« Mais la tech­nique, au moins, rem­plit-elle le contrat ? »

vous entends-je deman­der, car au fond, c’est pour ça

qu’on va voir les navets signés de Michael Bay :

se vider le cer­veau, nour­rir nos quolibets,

et en prendre plein les yeux sans trop se fatiguer.

Je dirai : « en faire trop est sou­vent pire qu’assez ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un spectacle :

ça pète à droite, à gauche, ça détruit les obstacles,

toutes les deux minutes vient un nou­veau pinacle

d’ex­plo­sions effré­nées et de rebonds miracles.

Mais l’ex­cès est nui­sible : le réalisateur

a fait boire beau­coup trop de café au monteur

et à son direc­teur de la photographie.

Le résul­tat rap­pelle une crise d’épilepsie :

des chan­ge­ments des angles toutes les trois images

et des plans trop rapides qui cassent le découpage,

des séquences illi­sibles qui fatiguent les yeux

et rendent imbi­table ce bour­ri­nage odieux.

En haut de cette cascade vous attend le pire rebondissement de l'histoire du cinéma. - photo Reiner Bajo pour Warner Bros
En haut de cette cas­cade vous attend le pire rebon­dis­se­ment de l’his­toire du ciné­ma. — pho­to Reiner Bajo pour Warner Bros

Le pire est que par­fois les ficelles sautent aux yeux :

mal­gré toute l’hys­té­rie de ces plans pagailleux,

en mon­tagne, vous ver­rez que la camé­ra est

pen­chée pour faire croire à plus de déclivité ;

vos yeux effa­rés vous diront : « ça colle pas »

et d’un coup, votre esprit dans la salle reviendra.

Le son n’est pas en reste : vos oreilles, en sortant,

trou­ve­ront le bébé du voi­sin reposant.

« Les acteurs », demandes-tu, toi qui les apprécies,

« ont-ils bien des abdos, de la force, de l’esprit ? »

Des tablettes, ils en ont, et les montrent volontiers :

ça détourne l’at­ten­tion de leurs têtes d’huîtriers.

Second rôle per­du dans La colère des titans

ou bien une suite de G.I. Joe en son temps

ne font pas à coup sûr per­for­mances d’acteurs :

le cha­risme des héros est taillé dans du beurre,

beurre qui n’au­rait pas vu de fri­go en cent ans.

Les gars, on va faire un pacte : personne révèle que j'ai joué dans G.I. Joe 2, et je dirai à personne que vous avez joué dans La colère des titans, Soumission, Easy money 2 et Largo Winch 2. photo Reiner Bajo pour Warner Bros
Les gars, on va faire un pacte : per­sonne révèle que j’ai joué dans G.I. Joe 2, et je dirai pas que vous étiez dans La colère des titans, Soumission, Easy money 2 et Largo Winch 2. pho­to Reiner Bajo pour Warner Bros

J’ai fait le tour je crois de ce film bien pesant ;

scé­na­rio et tech­nique, et même les acteurs

nous offrent le navet dans toute sa splendeur.

Pour un truc créé par un tel trou­peau de brêles,

ins­pi­rer un exer­cice intellectuel

est extra­or­di­naire et même inespéré ;

c’est si je suis hon­nête la rai­son qui poussait

à inves­tir dans cette recen­sion plus d’esprit

qu’ils n’en ont réuni pour faire cette ineptie.