Belle et Sébastien : l’aventure continue

de Christian Duguay, 2014, **

Il y a un élé­ment notable dans le script : Gabriella, qui se fait appe­ler Gabriele et cache ses che­veux sous une cas­quette dans un vibrant hom­mage à Claudine du Club des cinq. Bon, en soi, on s’en fout, mais ce qui est notable, c’est qu’il y a aus­si un mon­tagne des Pyrénées, dont on voit dis­tinc­te­ment les tes­ti­cules dans peut-être une demi-dou­zaine de plans, que tout le monde appelle « Belle » et conjugue au fémi­nin. Entre la fille qui vou­lait être un gar­çon et le chien qu’on pre­nait pour une chienne, ce film démontre incon­tes­ta­ble­ment tout le mal que la théo­rie du genre a fait à l’i­den­ti­té sexuelle des per­son­nages de cinéma.

Dieu mer­ci, comme les spec­ta­teurs n’ont aucune notion d’a­na­to­mie, per­sonne dans la salle n’a remar­qué que Belle est un tra­ve­lo, et per­sonne ne m’a deman­dé pour­quoi je rigo­lais comme un con dans mon fauteuil.

Donc ça, c'est en 1945, un avion français avec un moteur allemand. - photo Gaumont distribution
Donc ça, c’est en 1945, un avion fran­çais avec un moteur alle­mand. — pho­to Gaumont distribution

Il y a un autre truc que j’ai beau­coup appré­cié : le Beechcraft 18 qu’on voit beau­coup trop peu et qui se crashe beau­coup trop faci­le­ment, et le Max Holste Broussard, un autre appa­reil pour lequel j’ai un sym­pa­thie par­ti­cu­lière, qui se crashe lui aus­si mais moins griè­ve­ment. Au pas­sage, on voit l’é­ten­due des com­pé­tences du pilote, dont l’a­vion pique dès qu’il lâche le manche (le moment où j’ai envie de crier : « eh, ducon, elle sert à quoi la roue du com­pen­sa­teur à ton avis ? »). Ce n’est pas le seul indice lais­sant pen­ser que ce type n’y connaît rien, puis­qu’il dit que son avion est équi­pé d’une méca­nique alle­mande alors qu’on voit bien son Pratt&Whitney Wasp Jr — les Allemands n’a­vaient d’ailleurs pas de petit moteur en étoile effi­cace. Au pas­sage, le script est aus­si pré­cis que le pilote, puis­qu’on prend la peine de nous pré­ci­ser qu’on est en 1945, et que le Broussard a fait son pre­mier vol en 1952.

Dieu mer­ci, comme les spec­ta­teurs n’ont aucune notion d’aé­ro­nau­tique, per­sonne dans la salle n’a dit qu’un avion, ça tombe pas comme ça, et per­sonne ne s’est deman­dé pour­quoi je pre­nais régu­liè­re­ment mon visage dans mes mains.

Un ours dans les Alpes en 1945. Normal. Et agressif, en plus. - capture de bande-annonce Gaumont
Un ours dans les Alpes en 1945. Normal. Et agres­sif, en plus. — cap­ture de bande-annonce Gaumont

Après, il y a bien sûr plein d’a­ni­maux, des bre­bis à cornes, toute une foule de bes­tioles qui tra­verse la rivière avec le natu­rel d’un Blanche-Neige et les sept nains, et un ours qui veut man­ger une Italienne, super réa­liste (les ours bruns chassent beau­coup plus sou­vent les baies que les gens, d’ailleurs sur le tour­nage ils le moti­vaient à coups de Chamallows). Au pas­sage, on prend la peine de nous pré­ci­ser qu’on est en 1945 près de la fron­tière fran­co-ita­lienne, et on nous met un ours (dis­pa­ru des Alpes fron­ta­lières depuis 1927, et du Vercors à la fin des années 30) et un loup (décla­ré éteint en France en 1940).

Dieu mer­ci, comme les spec­ta­teurs n’ont aucune notion de zoo­lo­gie, per­sonne dans la salle ne s’est éton­né de voir des espèces dis­pa­rues avan­cer comme un trou­peau bien dres­sé, et per­sonne ne m’a deman­dé pour­quoi je levais les yeux au ciel.

Il y a aus­si un peu d’es­ca­lade, aux arbres et dans une grotte, où l’on trouve tout natu­rel de tenir un gamin au bout d’une corde en res­tant debout au bord du trou pour maxi­mi­ser les chances de tom­ber avec, et où l’on vous dit de vous agrip­per au lierre pour grim­per plus sûre­ment dans un arbre — ce qui est la meilleure façon de se vau­trer, croyez-moi sur parole.

Dieu mer­ci, comme les spec­ta­teurs n’ont jamais grim­pé plus haut qu’un tabou­ret, per­sonne dans la salle de s’est éton­né de voir les per­son­nages sor­tir vivants, et per­sonne ne m’a deman­dé pour­quoi j’a­vais l’air effaré.

Mais un film, ça n’est pas qu’un scé­na­rio mal­adroit et une recons­ti­tu­tion bour­rée d’a­na­chro­nismes. C’est aus­si un peu de technique.

Vous connaissiez Chien blanc ? Voici Chien plus blanc que blanc. - photo Gaumont distribution
Vous connais­siez Chien blanc ? Voici Chien plus blanc que blanc. — pho­to Gaumont distribution

Je connais quelques pho­to­graphes. Il n’y a à peu près qu’une chose sur laquelle ils sont tous d’ac­cord : le por­trait de mariage, avec le cos­tume noir et la robe blanche côte à côte, c’est l’en­fer. La seule solu­tion pour évi­ter de « brû­ler la mariée » (ce qui serait bal­lot, même si la juris­pru­dence Jeanne d’Arc dit que c’est le der­nier jour pour le faire), c’est de régler l’ex­po­si­tion pour la robe. Ensuite, c’est le cur­seur « lumière d’ap­point » et la courbe qui vous per­met­tront de révé­ler quelques détails dans le cos­tume pour rééqui­li­brer l’image.

Devinez ce qui res­semble à un cos­tume et une robe de mariée ? Des fringues des années 40 et un pelage de mon­tagne des Pyrénées, banco.

Devinez ce qu’a fait le direc­teur de la pho­to­gra­phie ? Il a choi­si une expo­si­tion médiane, voilà.

Devinez le résul­tat ? Le pelage de Belle est grillé sur les trois quarts des scènes où il appa­raît, évidemment.

Au secours ! Laissez-moi sortir de ce film ! - photo Gaumont distribution
Au secours ! Laissez-moi sor­tir de ce film ! — pho­to Gaumont distribution

Histoire de ne pas faire que déver­ser mon fiel, je dois tout de même sou­li­gner qu’il y a un type qui a fait son bou­lot : Olivier Gajan, le chef mon­teur. Il a réus­si à main­te­nir un bon rythme et à évi­ter les lon­gueurs, lais­sant l’his­toire s’ins­tal­ler sans trop s’é­ti­rer et accé­lé­rant les plans aux moments opportuns.

Du coup, on ne s’en­nuie même pas. Et pour quel­qu’un qui n’a abso­lu­ment aucun esprit cri­tique, ce scé­na­rio cou­su de fil blanc peut même four­nir un très hon­nête diver­tis­se­ment. En fait, Belle et Sébastien : l’a­ven­ture conti­nue est un très solide télé­film pour un ven­dre­di soir sur TF1, avec plein de bons sen­ti­ments, de rebon­dis­se­ments télé­pho­nés et d’hu­mour gen­tillet, un peu de sus­pense mais pas trop, par­fait pour dis­traire les mômes jus­qu’à 22 h 30 et espé­rer qu’ils vous laissent rou­piller jus­qu’à 8 h le same­di matin.