Vikings

de Michael Hirst, depuis 2013, ****

Ragnarr Loðbrók, c’est un peu aux Vikings ce qu’Arthur Pendragon est aux Celtes : un chef mythique, qui a pro­ba­ble­ment exis­té mais à qui on prête bien plus de légendes qu’un seul homme pour­rait en réa­li­ser, qui serait res­pon­sable d’in­va­sions répé­tées en Northumbrie dès la fin du hui­tième siècle, du sac de ce qui devait deve­nir la Normandie et du siège de Paris en 845, de la chute du roi Harald du Danemark au milieu du neu­vième siècle, voire de l’ins­tal­la­tion de ce qui allait deve­nir le royaume viking d’York.

Vikings est une ver­sion re-roman­cée de ce roman de Ragnar. Au départ, elle uti­lise ce maté­riau comme base pour pré­sen­ter la vie des Vikings, leur socié­té, leur mul­ti­tude de jarls diri­geant des assem­blées popu­laires pour régner sur des ter­ri­toires plus ou moins grands, leurs tech­niques de construc­tion et la ten­ta­tion d’al­ler cher­cher les richesses de l’ouest, dans l’île de Bretagne. C’est rela­ti­ve­ment réa­liste et assez bien docu­men­té, mal­gré quelques approxi­ma­tions (le ban­nis­se­ment, puni­tion très cou­rante pour les crimes graves, est qua­si­ment absent : sur ce point, même Thorgal est plus réa­liste !). Le scé­na­rio n’est pas tou­jours d’une extrême sub­ti­li­té, mais les per­son­nages sont bien construits, com­plexes et chan­geants ; les aspects tech­niques (pho­to, mon­tage…) sont par­fai­te­ment maî­tri­sés et l’é­qui­libre entre thé­ma­tiques humaines et des­crip­tion his­to­rique est fran­che­ment réussi.

Les langskip sont assez soigneusement reconstitués, quoique un peu trop uniformes. photo History
Les lang­skips sont assez soi­gneu­se­ment recons­ti­tués, quoi­qu’un peu trop uni­formes. pho­to History

Cependant, la série s’é­loigne peu à peu de l’his­toire des Vikings et la deuxième sai­son parle au moins autant de l’his­toire des ter­ri­toires anglo-saxons que des inva­sions scan­di­naves. On entre dans la poli­tique-fic­tion et on prend des liber­tés avec l’his­toire, par exemple en don­nant à Egbert de Wessex le rôle d’un mani­pu­la­teur sciem­ment allié aux Vikings pour faire tom­ber la Northumbrie et la Mercie — si j’ai bien sui­vi, il a plu­tôt en réa­li­té pro­fi­té gaie­ment du bor­del que les Scandinaves y fou­taient, mais il y a un pas de là à leur prê­ter une alliance. Dans la troi­sième sai­son, l’his­toire n’est plus qu’un pré­texte loin­tain, les Vikings ont un roi unique assez ana­chro­nique, et même un élève dis­trait peut trou­ver la chro­no­lo­gie bizarre : Charles II sexa­gé­naire diri­geant la défense de Paris en 845, alors qu’il est né en 823, ça fait désordre, et on entre­voit déjà le don de la Normandie qui aura lieu soixante ans plus tard sous l’au­to­ri­té de son petit-fils Charles III. Si l’on ajoute les évé­ne­ments en Grande-Bretagne, l’ac­tion se déroule donc à la fois vers 820, en 845 et vers 900 !

Cette troi­sième sai­son est donc plus hol­ly­woo­dienne et plus faible que les deux pre­mières. Elle reste tout à fait regar­dable, et les scé­na­ristes ont au moins eu la bonne idée de zigouiller un des per­son­nages prin­ci­paux pour lui don­ner une ten­sion spé­ci­fique, mais j’es­père que la qua­trième revien­dra sur des bases his­to­riques un peu plus solides. Vue la plage his­to­rique enva­hie, elle pour­rait par­ler aus­si bien des der­nières expé­di­tions de Ragnar en Northumbrie, de l’é­li­mi­na­tion d’Ælla par ses fils et de la conquête des îles bri­tan­niques, des explo­ra­tions de Björn jus­qu’en Méditerranée, ou même de l’in­va­sion de la Grande-Bretagne par Ivar, même si je ne mise pas trop là-des­sus vu qu’il est encore enfant au stade où nous en sommes. Ça ne manque pas d’his­toires poten­tiel­le­ment spec­ta­cu­laires, sans avoir à tor­tiller l’Histoire comme pour le sac de Paris.

C'est pas Spartacus, mais ça saigne un peu quand même. L'aigle de sang à la fin de la saison 2 est remarquablement gerbant. photo History
C’est pas Spartacus, mais ça saigne un peu quand même. L’aigle de sang à la fin de la sai­son 2 est d’ailleurs remar­quable. pho­to History

Il y a tout de même un truc que je trouve éton­nam­ment bien fait : si la série est évi­dem­ment tour­née en anglais, les pas­sages où deux peuples dif­fé­rents se ren­contrent sont en langues ori­gi­nales. Je ne suis pas un expert en langues médié­vales, mais la recons­ti­tu­tion du nor­rois, du vieil anglais et de l’an­cien fran­çais m’a paru assez soi­gnée et passe en tout cas très bien à l’o­reille — sauf pour le cas d’une actrice qui ne s’est mani­fes­te­ment pas faite à l’or­léa­nais et qui a du coup des into­na­tions très étranges.

L’ensemble doit donc être pris avec quelques réserves his­to­riques, mais la série ne manque pas de qua­li­tés et est dans l’en­semble fran­che­ment réussie.