Les âmes vagabondes
|d’Andrew Niccol, 2013, ****
Les Tok’ra l’ont découvert il y a longtemps : quand un Goa’uld prend possession d’un humain, celui-ci ne disparaît pas tout à fait. Il perd juste le contrôle de son corps, mais sa conscience reste.
C’est un peu ce qui se passe avec les extra-terrestres des Âmes vagabondes, qui implantent des « âmes » dans des humains pour vivre sur Terre après avoir colonisé de même d’autres espèces sur d’autres planètes. Le problème, c’est que les humains ne sont pas tous des hôtes faciles ; quelques-uns résistent à l’implantation et pourrissent la vie de l’âme qui occupe leur corps, en lui rappelant en permanence qu’elle est un parasite qui n’a rien à faire là.
C’est donc le cas de Wanderer, âme fraîchement implantée, et de Melanie, son hôte, jeune femme caractérielle qui résiste farouchement à l’occupation. Melanie arrive même à duper Wanderer pour la mener en plein désert, où elle espère retrouver sa famille, un groupe de vrais humains, et échapper à la vie propre et aseptisée que les âmes ont imposée.
C’est un peu surprenant mais, après un quart d’heure particulièrement pauvre (la mise en place est ultra-rapide et cousue de fil blanc, ne laissant nullement le temps de faire connaissance avec Melanie), Les âmes vagabondes décolle pour devenir un truc fantastico-SF plutôt réussi. Roberto Schaefer, qui avait photographié Quantum of solace, offre une image variée, de la propreté clinique des villes occupées par les âmes aux grottes du désert en passant par la Louisiane ; à chaque fois, l’effort de photographie est réel et certains plans sont absolument sublimes — je pense en particulier à la découverte du champ souterrain, où le travail sur la lumière rend un peu comme si le Caravage et Vermeer avaient peint Des Glaneuses.
Côté scenario, tout le monde s’attarde sur le quadrilatère amoureux entre Melanie, Wanderer et les mâles de leurs rêves ; mais celui-ci n’est en fait qu’un aspect assez secondaire du film, surtout là pour creuser la difficile cohabitation entre deux héroïnes coincées dans le même corps et dont les objectifs sont radicalement différents. Si cela donne quelques dialogues comiques (genre « touche pas à mon mec, même avec mon corps »), cela offre aussi un point d’articulation, à la fois pour l’évolution de Wanderer et pour la relation entre les deux héroïnes. L’évolution symétrique de la Traqueuse, qui occupe un autre corps dont l’humaine résiste, est également intéressante : de propres, policées et pratiques, les deux parasites découvrent et adoptent chacune un aspect différent de leur hôte, l’une prenant goût au bordel impulsif de la société humaine alors que l’autre intègre surtout l’intransigeance et la violence typiques de notre espèce.
Parce que bon, faut voir à pas oublier ce point fondamental : les humains sont intrinsèquement et profondément bancals. Capables de grands sentiments et prêts au sacrifice au besoin, ils sont aussi mal lunés, sadiques, incultes, puérils, violents et franchement pas sympathiques. C’est un peu une espèce de merde, qui avant l’arrivée des âmes était occupée à préparer des guerres et à détruire la planète — quand la Traqueuse dit que c’est un miracle que l’humanité ait survécu aussi longtemps, ça n’est pas une figure de style.
Le film oscille ainsi entre action et réflexion, entre comique et tragique, et sa description de l’humanité est à la fois cynique et romantique ; c’est donc pas trop simpliste (ce qu’on pouvait craindre, l’auteur initiale ayant également pondu la série des Twilight), tout en passant très bien par la grâce d’un quatuor d’acteurs très solide — sans surprise : Saoirse Ronan m’avait scotché dans Hanna et ni William Hurt, ni Scott Lawrence, ni Diane Kruger n’ont grand-chose à prouver.
L’ensemble souffre donc d’une mise en place bâclée, mais trouve ensuite sa voix et son rythme pour devenir bien meilleur que ce à quoi je m’attendais.