Looper

de Rian Johnson, 2012, ****

Le voyage dans le temps existe. Enfin… Presque : on peut juste ren­voyer des gens ou des objets trente ans en arrière. C’est quand même utile : en 2044, on retrouve faci­le­ment tous les cadavres. La mafia envoie donc les gens dont elle veut se débar­ras­ser en 2014, où des tueurs les attendent — et eux peuvent faci­le­ment faire dis­pa­raître des corps que per­sonne ne recher­che­ra avant trois décennies.

Ces tueurs, petites frappes recru­tées dans les rangs des jun­kies les plus shoo­tés, s’offrent ain­si des reve­nus éle­vés, contre une petite clause du contrat : lorsque la mafia vou­dra se débar­ras­ser d’eux, ils seront à leur tour ren­voyé dans le pas­sé, où cha­cun abat­tra soi-même son futur moi. Le jour où ils tuent quel­qu’un qui leur res­semble, ils savent donc qu’il leur reste trente ans à vivre avant de « bou­cler la boucle ».

Le prin­cipe de Looper peut paraître un peu com­pli­qué. Et encore, j’ai pas par­lé de l’in­trigue secon­daire, celle sur les « TK », dotés du pou­voir de télé­ki­né­sie, qui fait oscil­ler le film entre science-fic­tion et fan­tas­tique en détour­nant et ridi­cu­li­sant assez fine­ment les X‑men. Mais l’en­jeu est évi­dem­ment là : s’of­frir un temps de belle vie quitte à savoir qu’elle fini­ra bru­ta­le­ment, c’est ten­tant quand on a vingt piges et qu’on traîne dans les rues à la recherche d’une dose ; mais sera-t-on encore d’ac­cord quelques années plus tard, quand on voit de plus en plus de col­lègues bou­cler la boucle, et qu’on sent qu’on va bien­tôt se trou­ver nez à nez avec soi-même ?

Et quand le vieux soi qui revient explique la mul­ti­pli­ca­tion des bou­clages par l’ar­ri­vée d’un nou­veau par­rain, bru­tal et impi­toyable, qui vient de faire abattre / fera abattre la femme qu’on aimait / aime­ra, doit-on l’ai­der au risque de se mettre la mafia à dos ou faire son bou­lot et le descendre ?

Sur le papier, Looper a tout pour deve­nir un grand n’im­porte quoi. Curieusement, pour­tant, il prend plu­tôt bien, par la grâce d’ac­teurs ins­pi­rés et d’une réa­li­sa­tion réus­sie bien sûr, par le côté L’armée des douze singes ren­contre The pro­di­gies et L’effet papillon aus­si. Par le côté glauque et déses­pé­ré de l’en­semble de l’œuvre, enfin, qu’il s’a­gisse d’un pré­sent sale où tout le monde est dro­gué et bla­sé ou d’un futur où la mafia et la misère règnent.

Le para­doxe tem­po­rel y est trai­té d’une façon assez ori­gi­nale et bien fou­tue, et si l’on peut regret­ter une fin un peu trop bru­tale (il y avait une solu­tion plus élé­gante), elle a l’a­van­tage d’être cohé­rente avec le reste du film.

Dans l’en­semble, Looper est donc un bon film de science-fic­tion noire, avec une pointe de fan­tas­tique plu­tôt bien­ve­nue et l’hon­nê­te­té d’al­ler au bout de son propos.