Eva

de Kike Maillo, 2011, ****

Il y a dix ans, Alex, cher­cheur en robo­tique doué mais un peu imma­ture, a fui en lais­sant son frère David, la femme de son cœur Lana et ses tra­vaux inache­vés. Il revient fina­le­ment, rap­pe­lé pour créer la nou­velle géné­ra­tion d’an­droïde, plus intel­li­gent, plus « libre », sui­vant ain­si les tra­vaux qu’il a faits sur un chat plus auto­nome, moins fiable mais aus­si plus amu­sant que les robots de com­pa­gnie clas­siques. Cherchant un modèle com­por­te­men­tal pour son nou­veau pro­to­type, il fait connais­sance d’Eva, fille de David et Lana : vive, intel­li­gente, ori­gi­nale, iras­cible aus­si par moments, c’est typi­que­ment le carac­tère qu’il veut pour créer un androïde moins las­sant que les autres.

Résumer Eva comme ça, comme tout le monde l’a fait, ça donne l’im­pres­sion d’un film de science-fic­tion creu­sant la ques­tion clas­sique de l’in­tel­li­gence artificielle.

Mais ce n’est pas vrai­ment un film de science-fic­tion. D’abord, parce qu’il pré­sente un futur anti-futu­riste au pos­sible : la tech­no­lo­gie s’est amé­lio­rée pour faci­li­ter la concep­tion, le tra­vail ou la com­mu­ni­ca­tion, mais elle s’est inté­grée dans une ten­dance rétro en diable — exemple typique : la voi­ture d’Alex est élec­trique et reçoit un affi­chage tête haute, mais la coque est jus­qu’au der­nier bou­lon celle d’une bonne vieille Saab 900. Eva ne fait pas dans la SF tape-à-l’œil, mais dans l’an­ti­ci­pa­tion dis­crète, et c’est bien agréable.

Ensuite, parce qu’il se concentre fina­le­ment autant sur les rela­tions entre les per­son­nages. Les deux frères, celui qui a aban­don­né Lana sans jamais l’ou­blier et celui qui l’a épou­sée en sachant tou­jours qu’il était numé­ro 2, bien sûr. Et entre Alex et Lana, aus­si. Et tout cela se mêle à une trace d’an­cienne riva­li­té pro­fes­sion­nelle. Et bien sûr, la rela­tion entre Eva et Alex est cen­trale, celui-ci devant tout le temps moti­ver l’in­té­rêt de celle-là pour qu’elle par­ti­cipe à ses travaux.

C’est un sub­til équi­libre que d’ar­ri­ver ain­si à se plon­ger dans les rela­tions humaines, fluc­tuantes et com­plexes, tout en se posant mine de rien quelques ques­tions éthiques sur le niveau d’in­tel­li­gence à inté­grer à un robot, sur les choix à faire lorsque les robots attein­dront un niveau émo­tion­nel suf­fi­sant pour faire des conne­ries, et même sur ce qu’on appré­cie chez un humain et s’il est oppor­tun de recréer ces carac­tères artificiellement.

C’est en fait assez pré­ci­sé­ment tout ce que A.I. aurait dû être pour ne pas être la honte des fil­mo­gra­phies de Kubrick et Spielberg : c’est fin, drôle, tou­chant, par­fois intel­li­gent et triste, et si la réa­li­sa­tion passe assez inaper­çue, c’est pour mieux mettre en avant une his­toire réus­sie, débar­ras­sée des excès oni­riques pour plon­ger dans le réa­lisme, jus­qu’à la bru­ta­li­té par moments.