Prozac nation

de Erik Skjoldbjærg, 2001, ****

C’est une réplique clas­sique de Le Soleil se lève aus­si de Hemingway, quand quel­qu’un demande à Mike Campbell com­ment il a fait faillite. Tout ce qu’il peut répondre, c’est : « petit à petit, puis d’un coup ». C’est comme ça qu’ar­rive la dépression.

Lizzie in Prozac nation

Fondamentalement, il y a deux façons de faire un film de dépres­sion. Soit vous le trai­tez façon comique, en déci­dant de faire de votre per­son­nage un cas social inadap­té dont vous vous moque­rez à loi­sirs (toute res­sem­blance avec Mary et Max serait pure­ment for­tuite, puisque ça parle pas de dépres­sion mais d’au­tisme) ; soit vous le trai­tez façon dra­ma­tique, en ancrant votre his­toire et vos per­son­nages dans la réa­li­té, il est vrai assez dépri­mante quand on y réflé­chit bien.

Je laisse de côté la solu­tion d’é­vi­ter la dépres­sion elle-même pour se concen­trer sur ce qui tourne autour, façon Greenberg : même si c’est vache­ment bien, c’est un film de conva­les­cence, pas de dépression.

En adap­tant un roman, Erik Skjoldbjærg a sans doute vu le choix s’im­po­ser à lui. Et Prozac nation va clai­re­ment pas vous don­ner l’im­pres­sion que la vie, c’est fun : si vous vous taillez les veines à la fin, c’est que l’é­ton­nant hap­py end (enfin, il est quand même bien annon­cé dans la toute pre­mière par­tie du film) n’au­ra pas réus­si à vous remettre de la pré­cé­dente heure et demie d’ob­ser­va­tion minu­tieuse de la dépres­sion d’une étu­diante en lit­té­ra­ture, et de la façon dont son entou­rage la gère — par l’at­ten­tion bien­veillante, le rejet bru­tal ou le déni com­plet, selon le carac­tère et les propres dés­équi­libres de chacun.

Bon, le film était fait pour me plaire : d’a­bord, les his­toires d’au­teurs dépres­sifs, ça me parle (cf. Wonder boys ou Californication). Ensuite, il y a Michelle Williams et Christina Ricci, la pre­mière étant par­faite à son habi­tude et la seconde étant très loin au des­sus des per­for­mances où je l’ai vue récem­ment (mais on a dit qu’on par­lait plus de Speed racer).

Il y a aus­si un écho assez par­ti­cu­lier dans cette his­toire, inha­bi­tuel­le­ment réa­liste — dia­logues de thé­ra­pie très loin des bluettes habi­tuelles, mise en scène concrète de l’é­goïsme dont les dépres­sifs concen­trés sur leur dou­leur peuvent faire preuve, de la souf­france qu’ils imposent inno­cem­ment (enfin, par­fois) à leur entourage…

Donc, c’est très, très déses­pé­rant, presque autant que la vie, l’u­ni­vers et tout le reste ; sou­vent lourd à digé­rer, ter­ri­ble­ment vrai aus­si quelque part, ça rap­pel­le­ra quelque chose (ne serait-ce qu’une conver­sa­tion de la semaine pas­sée) à tous ceux qui sont par­tis en vrille pour une rai­son ou pour une autre, tan­dis que les autres pas­se­ront la jour­née à se deman­der de quoi parle ce truc ver­beux et complaisant.