Le chat du rabbin

de Joann Sfar et Antoine Delesvaux, 2009, ****

Tous les chats sont men­teurs, c’est bien connu : ils pré­tendent avoir faim, vou­loir sor­tir, vou­loir ren­trer, alors qu’en fait ils veulent juste véri­fier leur pou­voir. Le chat du rab­bin, lui, est men­teur par le verbe : après un acci­dent de per­ro­quet, il s’est trou­vé doué de parole. Et il en pro­fite pour remettre en cause les fon­de­ments du judaïsme, pour phi­lo­so­pher avec son maître, pour embrouiller ceux qui l’écoutent…

Je n’ar­rive pas à déci­der si c’est une fai­blesse ou une force, mais il y a deux films en un. Le pre­mier est phi­lo­so­phique, tape joyeu­se­ment sur les convic­tions et en par­ti­cu­lier celles décou­lant de la reli­gion du livre (dans toutes ses variantes : judaïsme, islam et chris­tia­nisme en prennent cha­cune pour son grade), reprend plus amè­re­ment la poli­tique colo­niale fran­çaise (« des gens qui veulent, pour faire la prière en hébreu à des gens qui parlent arabe, que tu passes une dic­tée en fran­çais, j’ap­pelle ça des fous ») et s’in­ter­roge ponc­tuel­le­ment sur la com­mu­ni­ca­tion entre per­sonnes d’o­ri­gines et de langues dif­fé­rentes. Le chat bien sûr, mais aus­si Zlabya, fille du rab­bin qui n’a elle non plus pas la langue dans sa poche, et le cheik cou­sin du rab­bin, sont des occa­sions de nour­rir la réflexion des dif­fé­rents per­son­nages et du lec­teur. C’est léger, sou­vent drôle, par­fois cynique, et ça met régu­liè­re­ment les reli­gions face à leurs contra­dic­tions, sans pour autant atta­quer les croyants eux-mêmes : c’est de ce point de vue plu­tôt très fin.

Le second film est une aven­ture afri­caine, avec l’ombre de la Croisière noire et de Tintin au Congo, repris quelques secondes dans une paro­die hau­te­ment comique et un peu aci­du­lée… Traverser l’Afrique en auto-che­nille à la recherche d’un mythe, c’est le sujet de cette deuxième par­tie, beau­coup plus ryth­mée, moins phi­lo­so­phique, plus road-movie en somme, mais éga­le­ment mar­quée par quelques ren­contres inté­res­santes et des débats tou­jours actuels entre reli­gieux de dif­fé­rents niveaux d’in­té­grisme ou défen­dant des inter­pré­ta­tions dif­fé­rentes du livre.

Le film est réjouis­sant, bien ani­mé, avec une très belle reprise du des­sin pour le moins par­ti­cu­lier de Joann Sfar — un des­sin, il est vrai, très vivant en ver­sion papier, qui se prête donc bien à l’exer­cice de l’a­ni­ma­tion. Les deux par­ties se com­plètent fina­le­ment assez bien, la seconde venant allé­ger un film qui aurait ris­qué le cla­quage de neu­rones sans elle et la pre­mière offrant une mise en place posée et inté­res­sante à ce qui aurait sinon été un vague des­sin ani­mé d’action.

Globalement, c’est donc une bonne sur­prise, bien des­si­née, bien réa­li­sée, très bien dou­blée, bref, à voir.