Black swan

magis­trale claque de Darren Aronofsky, 2010

Y’a des jours où je me demande si mes confrères regardent les films avant de faire leurs résu­més. Parce que là, réduire ce film à la riva­li­té entre deux jeunes (j’ai même lu « ado­les­cente » quelque part) dan­seuses, c’est juste ridi­cule. C’est pour­tant dans la bande-annonce : « the only per­son stan­ding in your way is you ». Mais dif­fi­cile de dire pour­quoi sans révé­ler un nœud du film…

Aronofsky, c’est le taré qui a pon­du Requiem for a dream, sans doute le film le plus trash et le plus glauque que j’aie vu trai­tant de la drogue, de ses excès et des consé­quences de la dépen­dance. Il nous a aus­si four­ni The wrest­ler, bijou plein de muscles, de sueur, de sang et de larmes qui voyait The Ram, cas­sé de par­tout, conti­nuer à se battre quitte à y res­ter pour le spec­tacle et la pas­sion du public. Dans la fou­lée de celui-ci, Nina est obsé­dée par le mou­ve­ment par­fait, l’im­pec­cable inter­pré­ta­tion du Lac des cygnes, quitte à y lais­ser des ongles, des ten­dons ou des bouts de peau.

Et elle y par­vient, en quelque sorte. La per­fec­tion, oui… pour le cygne blanc, pur, vir­gi­nal. Mais où est la pas­sion, l’en­ga­ge­ment, la rage néces­saires à son alter ego sombre ? Comment faire res­sor­tir des émo­tions qu’elle contrôle depuis l’en­fance, sous la pres­sion de son ex-bal­le­rine de mère qui veut réus­sir par pro­cu­ra­tion ? Partir à la décou­verte de ses fan­tasmes, de ses pul­sions, de sa spon­ta­néi­té, tout en conti­nuant à tra­vailler d’ar­rache-pied¹ pour conser­ver la maî­trise tech­nique qui fait d’elle l’é­toile de la troupe… Nina a la maî­trise d’un robot, mais doit deve­nir humaine pour espé­rer être émou­vante — et un humain, ça ne fait pas que bos­ser : ça picole, ça sniffe des trucs louches, ça insulte son pro­chain quand c’est éner­vé, ça s’en­ferme pour bou­der, ça se met à chia­ler sans rai­son, ça craque, ça flirte, ça dort pas², ça dort trop…

La riva­li­té annon­cée existe, bien sûr, et d’autres dan­seuses aime­raient mon­ter en grade, mais là encore c’est plus la ges­tion de cette insé­cu­ri­té par Nina qui est mise en avant, et qui fini­ra par deve­nir le nœud de sa vie : convaincre le direc­teur de bal­let que nulle autre ne peut tenir le rôle aus­si bien, s’en convaincre elle-même, évi­ter les attaques réelles ou non de ses camarades…

Il y a, dans le trai­te­ment psy­cho­lo­gique de l’his­toire, de vrais mor­ceaux de David Lynch. Mais, voyez-vous, des bons mor­ceaux de Lynch : le même sens de l’ir­réel, une façon par­ti­cu­lière d’in­car­ner la para­noïa, cette cris­tal­li­sa­tion des illu­sions… mais au pro­fit d’une vraie nar­ra­tion, d’une vraie his­toire, d’un vrai envol ou d’une vraie chute, de ce qui manque à Mulholland drive, quoi.

Ajoutons une pho­to impec­cable, des faux-sem­blants qui perdent le spec­ta­teur autant que le per­son­nage prin­ci­pal… et sur­tout un duo d’ac­teurs phé­no­mé­naux, un Vincent Cassel plus vicieux et cynique que jamais et une Natalie Portman au-delà des com­pli­ments les plus dithy­ram­biques que j’ai dans mon dic­tion­naire, fra­gile, ter­rible, déter­mi­née, pas­sant de la quin­tes­sence du balai dans le cul au pétage de plombs le plus spon­ta­né­ment brutal…

Je sais pas com­ment dire, mais si vous vous sou­ve­nez de mon petit bla­bla concer­nant la pres­ta­tion d’Annette Bening dans The kids are all right, sachez que je viens de chan­ger mon fusil d’é­paule et que je consi­dé­re­rais comme scan­da­leux qu’elle obtienne l’Oscar de la meilleure actrice alors qu’elle est pré­ci­sé­ment en com­pé­ti­tion avec Portman.

Au glo­bal, comme les pré­cé­dents d’Aronofsky, Black swan est un peu exi­geant. J’en suis sor­ti érein­té, en vrac, et j’ai mis deux jours à ramas­ser les mor­ceaux de mon cer­veau épar­pillés un peu par­tout dans ma psyché.

Mais là, fran­che­ment, j’ai envie de le revoir.

¹ Oui, j’ai sciem­ment osé ce jeu de mots très dou­lou­reux. Ceux qui l’ont vu com­pren­dront, les autres aus­si, lors­qu’ils l’au­ront vu.

² D’ailleurs, je devrais être cou­ché, moi… ‑_-”