Fair game

de Doug Liman, 2010, ****

Les Américains ont un truc pré­cieux, qui manque par­fois un peu chez nous : le Premier amen­de­ment. Celui-ci garan­tit la liber­té d’ex­pres­sion, y com­pris sur des sujets sen­sibles, et per­met aux scé­na­ristes et réa­li­sa­teurs de ciné­ma de s’emparer rapi­de­ment et radi­ca­le­ment de faits sup­po­sés réels, sans devoir attendre que les his­to­riens s’ac­cordent sur quoi dire ou non. Il per­met même à d’an­ciens agents de la CIA de racon­ter leur his­toire à la télé… Soyons hon­nête tout de même : cette vieille tra­di­tion outre-Atlantique appa­raît éga­le­ment chez nous depuis quelques années, comme en témoignent Une affaire d’État ou Secret défense par exemple.

Tout ceci pour dire que le ciné­ma amé­ri­cain s’est empa­ré à bras-le-corps de la seconde guerre du Golfe et en par­ti­cu­lier de ce qui est là-bas la ques­tion majeure : les men­songes des gou­ver­nants — rap­pe­lons que Clinton n’a pas failli être des­ti­tué pour s’être fait sucer hors mariage, aus­si mor­tel soit le péché, mais pour avoir juré au peuple amé­ri­cain que ça n’é­tait jamais arri­vé. Alors que les sources concor­daient, aus­si bien en Irak qu’au Niger (gros expor­ta­teur d’u­ra­nium, grâce à la Cogema, par­don, Areva), sur l’ar­rêt du pro­gramme ato­mique ira­kien, George a été en guerre. Et pour aller en guerre, George a men­ti au peuple.

Et pour pro­té­ger son men­songe, les diri­geants ont bri­sé un tabou : ils ont révé­lé publi­que­ment l’i­den­ti­té d’une agent de la CIA, celle-là même qui avait enquê­té en Irak et rame­né une série de témoi­gnages sur l’i­nexis­tence du pro­gramme d’ar­me­ments. L’objectif ? Discréditer le mari de celle-ci, diplo­mate spé­cia­liste d’Afrique cen­trale ayant révé­lé que rien n’ac­cré­di­tait l’i­dée d’une vente d’u­ra­nium du Niger à l’Irak.

C’est leur his­toire (reven­di­quée comme vraie) qui est contée, avec les pres­sions, les insultes et le lâchage en règle de l’agent grillée ; mais plus impor­tant sans doute, c’est l’en­quête préa­lable à la guerre qui est au cœur des évé­ne­ments. Cette enquête au cours de laquelle on entend un Irakien affir­mer : « ils vont nous faire la guerre alors qu’ils savent que nous n’a­vons rien ». Après Green zone, qui s’at­ta­quait au pro­blème de « pour­quoi je trouve rien sur place, avons-nous été intoxi­qués ? », on va plus loin : c’est désor­mais en toute connais­sance de cause que les États-Unis ont atta­qué un État à peu près désarmé.

Le film est fort, la réa­li­sa­tion effi­cace, les acteurs remar­quables (c’est pas après King Kong que j’au­rais dit ça de Watts…), et si l’on peut lui repro­cher d’être un peu trop éta­su­nien (avec toutes les ficelles pour accro­cher un Américain moyen, qui ne marchent pas for­cé­ment sur un Européen), on ne peut pas l’ac­cu­ser d’être mou ou raté.