Shutter island

de Martin Scorsese, 2010, **** (pour l’instant)

1954. Une chambre close de l’ex­té­rieur, à l’u­nique fenêtre grilla­gée. Des gardes tout autour. Un asile pour alié­nés vio­lents, sur­pro­té­gé, sur une île, à vingt kilo­mètres du conti­nent… Et pour­tant, la loca­taire, Rachel Solando, s’est fait la malle. Teddy Daniels, ancien G.I. de la 45è d’in­fan­te­rie et désor­mais mar­shal fédé­ral, est donc envoyé sur Shutter Island pour savoir ce qu’il en est adve­nu et, si pos­sible, la retrou­ver. Mais sur place, il va décou­vrir une équipe soi­gnante peu coopé­ra­tive et un chef psy­chiatre à l’ac­cent ger­ma­nique qui lui rap­pelle éton­nam­ment les direc­teurs du camp de Dachau…

Scorsese est capable du meilleur comme du pire. Ici, il fait dans le meilleur. La nar­ra­tion pro­gres­sive, toute en faux-sem­blants, main­tient une ten­sion per­ma­nente. La pho­to est sou­vent sublime, avec ponc­tuel­le­ment quelques astuces assez inha­bi­tuelles — plans en HDR et simu­la­tion de trai­te­ment croi­sé notam­ment. Martin fait aus­si par­fois le choix d’une esthé­tique très rétro, ren­dant hom­mage aux affiches des films noirs amé­ri­cains des années 50, ce qui colle bien enten­du par­fai­te­ment au sujet.

Il joue énor­mé­ment sur les cli­chés, Leonardo incar­nant ici un flic en cha­peau et redin­gote tel qu’on l’i­ma­gi­nait alors, pour mieux les dyna­mi­ter et ren­for­cer le retour­ne­ment de l’illu­sion. Car c’est toute la force de ce film où, tout au long, quelque chose cloche : la réa­li­té admise est-elle réelle ? Les sou­ve­nirs sont-ils vécus ou créés ? Et comme Leonardo a fait un pas sup­plé­men­taire, après Howard Hughes dans Aviator, vers la per­fec­tion dans les rôles ambi­gus et tor­tu­rés, ça en devient extra­or­di­nai­re­ment pre­nant et déstabilisant.

On peut dif­fi­ci­le­ment en dire plus sans dévoi­ler l’in­trigue, ce qui serait dom­mage. Mais j’ai dans l’i­dée que, à la manière de Usual sus­pects, ce petit bijou a des chances de se ren­for­cer lors d’un deuxième pas­sage — vous savez, celui où l’on voit les indices par­se­més et où on se dit : « bon sang, com­ment j’y ai pas pen­sé plus tôt ? »