Instinct de survie
|de Jaume Collet-Serra, 2016, *
C’est l’histoire de Coucourge. Coucourge, c’est une surfeuse et elle est trop cool : elle a quitté son Texas pour aller chercher la plage mexicaine où sa mère a surfé (le surf, c’est génétique) pendant sa grossesse (le surf, c’est conseillé par les obstétriciens). Sa copine l’a lâchée pour poser sa cuite avec un autochtone, mais Coucourge, elle est trop cool pour se bourrer la gueule et baiser avec n’importe qui, alors à huit heures tapantes elle s’est trouvé un type bronzé dans un Chevrolet Silverado pour l’emmener à la plage. Bien sûr, Coucourge parle pas un mot d’espagnol, mais elle est trop cool pour pas essayer, alors ils papotent en spanglish et elle est tellement cool que le mec veut même pas qu’elle participe aux frais de transport.
Ensuite, Coucourge est sur sa planche, et le cahier des charges stipule qu’on doit voir son décolleté, son cul et ses jambes mais il faut qu’elle ait l’air équipé, donc elle a un haut néoprène fermé exactement jusque là, tu vois, là, pour faire un push-up super push-up, et puis un bas de maillot de bain et les jambes à l’air. Et même si les gens du coin lui disent de se méfier parce qu’il y a des coraux super coupants juste là, là, à droite, elle est trop cool pour mettre une combarde intégrale, hein. Ensuite, elle surfe façon Kelly Slater mais en plus cool tu vois, et puis elle se fait une minute Facetime avec sa sœur surfeuse et son père veuf parce qu’elle a une vraie histoire tu comprends, et elle retourne surfer pendant que les gens du cru lui disent que là faut rentrer, le soleil va tomber, la marée est passée, faut pas rester là madame, mais elle est trop cool pour écouter un mex et un hippie californien.
Et là…
Là…
Ta tin tu… Ta tin tu… Ta tin, ta tin… Ta tin, ta tin, ta tin, tatintatintatinta… (musique des Dents de la mer)
Donc, Coucourge se retrouve sur une jubarte morte qui flotte avec un requin qui tourne autour, puis elle rejoint un caillou avec un requin qui tourne autour, évidemment elle se coupe sur les coraux et fout du sang partout, elle fait un garrot avec son bracelet et des agrafes avec ses bijoux (mais comme c’est Coucourge, elle va attendre trois heures que son pied soit bleu et insensible avant de penser à desserrer le garrot une minute, c’est bien la peine que Papa lui ait payé sept ans de médecine), et pendant ce temps Sharky continue à tourner autour comme un con. Et comme c’est Coucourge, elle passe la nuit là, laisse passer la marée basse et attend la marée haute pour essayer de se déplacer, parce que c’est connu, quand il y a beaucoup d’eau ça favorise la créature terrestre et ça handicape le requin géant.
Bon, je vous ai un peu spoilés, mais en fait y’a plein d’autres péripéties palpitantes qui vous montrent que le seul truc plus con que Coucourge, c’est Sharky (qui vient de bouffer 200 kg de barbaque, qui a quinze tonnes de baleine à becqueter, mais qui veut absolument les quarante kilos d’os perchés dessus). Et le seul truc plus con que Sharky, c’est le scénariste.
La liste des éléments incohérents est beaucoup, beaucoup plus longue que le script — ça commence avec Blake Lively qui joue une Texane, du coup c’est la seule Texane qui ait un accent west-coast rapide et pointu et qui laisse jamais traîner la fin de ses mots, et ça culmine avec le seul requin qui nage toujours à cinq kilomètres à l’heure et n’en profite pas pour faire une pointe de vitesse quand il entend quelque chose barboter dans l’eau.
On pourrait se dire que c’est parodique, mais c’est pas la façon dont le film est présenté : a priori, Jaswinski et Collet-Serra ont pensé faire un nouveau 127 heures en réunissant Duel et Les dents de la mer. Mais ils ont plutôt réussi à faire un nouvel Anacondas, qui gagnera sans doute beaucoup à être vu à deux heures du mat”, avec une bande de copains bourrés pour faire des commentaires.
Il a tout de même un problème qui réduit un peu son indéniable potentiel nanardesque : il est plutôt soigné techniquement. Hormis dans sa dernière scène, le requin est relativement bien fait (même si c’est le seul requin qui a une rangée unique de dents solidement implantées), le montage est extrêmement efficace, les effets spéciaux fonctionnent de même que certains rebondissements, et il y a même des moments où un semblant d’ambiance se crée.
Mais Collet-Serra (réalisateur), Martínez Labiano (directeur de la photographie) et Negron (monteur) ne sont pas des alchimistes : ils font ce qu’ils peuvent, mais il parviennent juste à transformer le plomb liquide en plomb solide. Pour un vrai survival maritime réussi, on se refera donc plutôt Survivre — qui a en plus l’avantage de ne pas filer de complexes aux femmes normales qui auraient accouché il y a moins d’un an et voudraient comparer leurs ventres normaux à celui de Blake Lively, et surtout de ne pas encourager la destruction d’une espèce en voie d’extinction.
PS : mention spéciale à Culturebox pour son papier de réhabilitation des requins. Dès le chapô, l’article nous apprend que les requins sont des mammifères — ce qui est pour le moins original pour un poisson cartilagineux de la même classe que les raies. Y’a pas : ça fait sérieux.