Stranger things
|madeleine à la cannelle et à la vanille de Matt et Ross Duffer, 2016
Vous avez l’âge d’avoir vu Les goonies à six ans. À huit ans, vous avez fait des cauchemars pendant une semaine après avoir vu Indiana Jones et le temple maudit, et du coup vous avez profité à onze ans de la première diffusion télévisée de E.T. ; dans la foulée, vous avez découvert et a‑do-ré Rencontres du troisième type et la sortie d’Alien 3 vous a permis de découvrir à la télé les deux premiers épisodes et de vous apercevoir qu’il n’y a pas que Spielberg dans la vie. À peine plus tard, vous avez passé vos samedis soir d’adolescent à regarder Aux frontières du réel. Bref, aujourd’hui, vous avez trente-cinq ans, vos potes ne parlent que d’une nouvelle série qui leur rappelle leur enfance, et là, vous devenez curieux.
Alors, vous vous plongez dans Stranger things, en espérant que votre question récurrente (« les madeleines sont-elles le gâteau à pâte molle délicatement parfumé de vanille et de cannelle que faisait ma mère ou le truc bourratif et sans saveur qu’on grignote entre deux trains parce que c’est tout ce qu’on a pour 1,5 € à la SNCF de nos jours ? »), cette question donc connaîtra une autre réponse qu’avec Tortues ninja.
Et à la fin, vous aimez vos potes.
Stranger things, c’est un patchwork de tout ce qui passionnait les minots des années 80–90 : aventures, SF, suspense, horreur soft, humour facile, le tout de préférence avec des adultes qui pètent les plombs et des gamins qui sauvent le monde. La liste des références est interminable, l’ombre de Spielberg est omniprésente (avec une touche de King et de Scott bien sûr), et le mélange de base pourrait rappeler Super 8. Mais, même si j’ai bien aimé Super 8, on est ici un net ton au-dessus : les hommages sont plus digérés, les personnages plus creusés pour les sortir des clichés d’origine, les intrigues prennent le temps de se développer en profitant à l’ambiance. La reconstitution du début des années 80 est également plus détaillée et les frères Duffer ont pu prendre le temps d’attaquer leur histoire et leurs personnages sous une multitude d’aspects.
On trouve ainsi la famille américaine parfaite, avec la grande sœur bonne élève qui commence à fréquenter des garçons à moitié recommandables, le petit frère qui passe son temps à jouer à Donjons & Dragons et à faire des projets de science, et leurs parents bienveillants mais vaguement déconnectés. Au passage, je suis extrêmement surpris : peu ont cité Freaks and geeks dans les influences, alors que les Wheeler sont un calque parfait des Weir.
On voit un peu l’école, avec son lot de petits cons qui terrorisent les autres, ses sportifs populaires et ses intellos parias. On voit aussi la face B de la société de l’époque, où les mères séparées font beaucoup jaser et doivent enchaîner les petits boulots pour nourrir leurs gosses, où ceux-ci sont laissés à l’écart comme si le divorce était une maladie contagieuse, et où une adolescente qui papote avec un autre que son sportif habituel se fait rapidement traiter de traînée.
Et bien sûr, il y a les histoires principales. Plusieurs disparitions, une apparition, une agence gouvernementale mystérieuse, une poignée d’adultes qui deviennent obsédés par un détail au point de mettre leur entourage en danger (tout le monde cite la mère du premier disparu, mais le shérif n’est pas loin derrière), tout cela convergeant progressivement vers un finale parfaitement maîtrisé : la structure de Rencontres du troisième type rencontre les thèmes de Aux frontières du réel, et ça fonctionne excellemment.
La réalisation est un peu moins remarquable, et semble parfois plus attachée à assembler les clins d’œil à ses influences qu’à trouver sa propre voix. Rien de grave, rassurez-vous, mais les frères Duffer sont peut-être des scénaristes plutôt que des réalisateurs. La direction d’acteurs est également un peu inégale, les gosses s’en sortant finalement parfois mieux que les adultes — mais pour leur défense, la plupart de ceux-ci ont des personnages un peu stéréotypés.
Mais l’ambiance est prenante, entre thriller x‑filesien, aventures e.t.aises et anticipation alienesque. La variété thématique et la progression parfaitement maîtrisée en font la madeleine parfaite pour les trentenaires actuels, mais la série a également sa propre tonalité et sait distiller ses influences pour donner un produit original. Bref, c’est une vraie réussite, qu’il serait dommage de limiter à un retour en enfance pour nostalgiques des années 80 — même si c’est sans doute ce que je viens de faire.
Note personnelle : il arrive que des personnages ou des acteurs nous rappellent des gens que l’on connaît. Mais là, c’est carrément un sosie d’un copain de fac (avec dix ans de moins) et une sosie d’une attachée de presse (avec quinze ans de moins) qui sont au cœur de la deuxième partie de la série. C’est extrêmement troublant, surtout que je suis probablement la seule personne à connaître ces deux-là.