Star wars 7 — le réveil de la Force
|de J.J. Abrams, 2015, ***
Vous le savez peut-être, Abrams est un nom symbole de délicatesse. Creighton Williams Abrams dirigeait un bataillon blindé, le M1 Abrams est un char d’assaut d’une soixantaine de tonnes, et Jeffrey Jacob Abrams a pondu Mission : impossible III.
C’est le même J.J. qui a relancé Star trek, et dont le projet le plus original reste Super 8. Autant dire que faire des films de fans, il connaît. Or, l’avantage de confier une suite à un fan spécialiste des films de fans, c’est qu’on peut être certain qu’il respectera la matière originale. Et ça, c’est très important quand on veut relancer une série qui a atteint le rang de religion : prendre des libertés avec les Six Épisodes du Canon Lucassien, ce n’était pas seulement risquer un échec commercial, mais risquer sa vie. Le réveil de la force devait donc avant tout plaire aux adeptes pour éviter de lancer une nouvelle guerre de religion.
Côté scénario, on évite de prendre des risques : la récupération des personnages originaux, en particulier Han et Chewbacca (largement montrés dès les bandes-annonces), garantit du 100 % pur nostalgie, et J.J. et ses potes n’avaient qu’à leur assurer un futur relativement cohérent pour être sûrs de faire un carton. Les recettes qui ont fait le succès de ce space opera sont évidemment scrupuleusement suivies : empire vs rebelles républicains, une paire de personnages qui hésitent entre lumière et côté obscur, les questions d’héritage et de paternité, des armes capables de détruire des planètes, des vaisseaux qui se crashent plus souvent qu’ils n’atterrissent, des X‑wings qui suivent des trajectoires aéronautiques même dans l’espace et des explosions sonores dans le vide.
Sur le plan technique, on retrouve la patte Abrams, très portée sur l’action et le spectacle — ça tombe bien, Lucas aussi — et qui a toujours saupoudré ses films d’une goutte d’humour potache pour masquer des scénarios plutôt légers. Abrams ayant toujours fait des films bruyants et John Williams ayant repris du service, on ne s’étonnera pas non plus de l’omniprésence des effets sonores et de la musique : comme les précédents Star wars, celui-ci est un très long clip autant qu’un film. Enfin, la direction d’acteurs est un peu moins mauvaise que chez Lucas mais, comme un ultime hommage, le duo d’acteurs principaux fournit un jeu très stéréotypé et assez dépourvu de classe, et se fait complètement piquer la vedette par Ford et son caniche.
Vous me connaissez, vous sentez donc venir mon argument suivant : mais bordel de Dieu, où est passée l’originalité ?
Cher J.J., j’ai un scoop pour toi : j’ai déjà vu Un nouvel espoir et L’empire contre-attaque. J’ai même vu La revanche des Siths, c’est d’ailleurs le seul que j’ai vu au cinéma. Reprendre tous leurs ingrédients, les mélanger et me les servir en me faisant croire que c’est un nouveau plat, ça ne marche pas : tu peux mettre courgettes, navets, carottes, poireau, pommes de terre, jarret et plat de côtes dans l’ordre que tu veux et tu peux appeler ça comme tu veux, je saurai quand même que je mange un pot-au-feu.
En fait, le respect des anciens est ici poussé à un tel stade que même le déclencheur fondamental d’Un nouvel espoir, le coup de la carte planquée dans un droïde nain et rondouillard, est repris exactement à l’identique ! Ça peut passer pour un clin d’œil, mais quand tout le film est constitué de clins d’œil, l’expression correcte devient « plagiat ».
À sa sortie, La guerre des étoiles (c’est comme ça qu’on appelait Un nouvel espoir à l’époque) était novateur : si le fond de l’histoire ne bouleversait rien, les effets spéciaux, la tonalité, la narration même changeaient de la SF à la papa. Aujourd’hui, sa suite semble emprisonnée dans un respect dogmatique des canons de l’Église, figé dans les mêmes codes : l’Opus Georgi a gagné, le concile Tatooine II attendra. Symptôme hallucinant : alors que Lucas avait toujours eu à cœur de profiter de toutes les technologies possibles pour moderniser le rendu de ses films (allant jusqu’à refaire certains morceaux en images de synthèse vingt ans plus tard pour remettre la première série au goût du jour), Abrams est tout fier d’avoir limité les effets spéciaux et tourné en pellicule comme son maître ! C’est d’autant plus con que du coup, le film a dû être converti en stéréoscopie en postproduction pour ajouter le macaron « 3D » sur l’affiche, et vous direz ce que vous voudrez, ça se voit.
Est-ce que c’est mauvais ? Non. Je regarde encore Un nouvel espoir avec plaisir, c’est toujours fun, distrayant et efficace même si Mark Hamill joue comme une huître. Le réveil de la force se voit donc avec le même plaisir : il est fun, distrayant et efficace même si Daisy Ridley joue comme un poulpe. Il a en plus un petit côté nostalgique toujours sympa, et j’ai franchement passé un bon moment ; c’est juste que j’avais l’impression de l’avoir déjà vu.