Star wars 7 — le réveil de la Force

de J.J. Abrams, 2015, ***

Vous le savez peut-être, Abrams est un nom sym­bole de déli­ca­tesse. Creighton Williams Abrams diri­geait un bataillon blin­dé, le M1 Abrams est un char d’as­saut d’une soixan­taine de tonnes, et Jeffrey Jacob Abrams a pon­du Mission : impos­sible III.

C’est le même J.J. qui a relan­cé Star trek, et dont le pro­jet le plus ori­gi­nal reste Super 8. Autant dire que faire des films de fans, il connaît. Or, l’a­van­tage de confier une suite à un fan spé­cia­liste des films de fans, c’est qu’on peut être cer­tain qu’il res­pec­te­ra la matière ori­gi­nale. Et ça, c’est très impor­tant quand on veut relan­cer une série qui a atteint le rang de reli­gion : prendre des liber­tés avec les Six Épisodes du Canon Lucassien, ce n’é­tait pas seule­ment ris­quer un échec com­mer­cial, mais ris­quer sa vie. Le réveil de la force devait donc avant tout plaire aux adeptes pour évi­ter de lan­cer une nou­velle guerre de religion.

Je m'appelle Peter Mayhew et depuis 1977, mon pote Harry et moi sommes les seuls acteurs potables de la série. photo Lucasfilm
Je m’ap­pelle Peter Mayhew et depuis 1977, mon pote Harry et moi sommes les seuls acteurs potables de la série. pho­to Lucasfilm

Côté scé­na­rio, on évite de prendre des risques : la récu­pé­ra­tion des per­son­nages ori­gi­naux, en par­ti­cu­lier Han et Chewbacca (lar­ge­ment mon­trés dès les bandes-annonces), garan­tit du 100 % pur nos­tal­gie, et J.J. et ses potes n’a­vaient qu’à leur assu­rer un futur rela­ti­ve­ment cohé­rent pour être sûrs de faire un car­ton. Les recettes qui ont fait le suc­cès de ce space ope­ra sont évi­dem­ment scru­pu­leu­se­ment sui­vies : empire vs rebelles répu­bli­cains, une paire de per­son­nages qui hésitent entre lumière et côté obs­cur, les ques­tions d’hé­ri­tage et de pater­ni­té, des armes capables de détruire des pla­nètes, des vais­seaux qui se crashent plus sou­vent qu’ils n’at­ter­rissent, des X‑wings qui suivent des tra­jec­toires aéro­nau­tiques même dans l’es­pace et des explo­sions sonores dans le vide.

Sur le plan tech­nique, on retrouve la patte Abrams, très por­tée sur l’ac­tion et le spec­tacle — ça tombe bien, Lucas aus­si — et qui a tou­jours sau­pou­dré ses films d’une goutte d’hu­mour potache pour mas­quer des scé­na­rios plu­tôt légers. Abrams ayant tou­jours fait des films bruyants et John Williams ayant repris du ser­vice, on ne s’é­ton­ne­ra pas non plus de l’om­ni­pré­sence des effets sonores et de la musique : comme les pré­cé­dents Star wars, celui-ci est un très long clip autant qu’un film. Enfin, la direc­tion d’ac­teurs est un peu moins mau­vaise que chez Lucas mais, comme un ultime hom­mage, le duo d’ac­teurs prin­ci­paux four­nit un jeu très sté­réo­ty­pé et assez dépour­vu de classe, et se fait com­plè­te­ment piquer la vedette par Ford et son caniche.

Parfois, on se bat sur une planète au lieu d'une station spatiale. Mais ça reste sensiblement la même chose quand même. photo Lucasfilm
Parfois, on se bat sur une pla­nète au lieu d’une sta­tion spa­tiale. Mais ça ne change ni le but, ni le dérou­le­ment géné­ral du scé­na­rio. pho­to Lucasfilm

Vous me connais­sez, vous sen­tez donc venir mon argu­ment sui­vant : mais bor­del de Dieu, où est pas­sée l’originalité ?

Cher J.J., j’ai un scoop pour toi : j’ai déjà vu Un nou­vel espoir et L’empire contre-attaque. J’ai même vu La revanche des Siths, c’est d’ailleurs le seul que j’ai vu au ciné­ma. Reprendre tous leurs ingré­dients, les mélan­ger et me les ser­vir en me fai­sant croire que c’est un nou­veau plat, ça ne marche pas : tu peux mettre cour­gettes, navets, carottes, poi­reau, pommes de terre, jar­ret et plat de côtes dans l’ordre que tu veux et tu peux appe­ler ça comme tu veux, je sau­rai quand même que je mange un pot-au-feu.

En fait, le res­pect des anciens est ici pous­sé à un tel stade que même le déclen­cheur fon­da­men­tal d’Un nou­vel espoir, le coup de la carte plan­quée dans un droïde nain et ron­douillard, est repris exac­te­ment à l’i­den­tique ! Ça peut pas­ser pour un clin d’œil, mais quand tout le film est consti­tué de clins d’œil, l’ex­pres­sion cor­recte devient « plagiat ».

Toute ressemblance avec un méchant ayant déjà été filmé six fois serait totalement normale. photo Lucasfilm
Toute res­sem­blance avec un méchant ayant déjà été fil­mé six fois serait tota­le­ment nor­male. pho­to Lucasfilm

À sa sor­tie, La guerre des étoiles (c’est comme ça qu’on appe­lait Un nou­vel espoir à l’é­poque) était nova­teur : si le fond de l’his­toire ne bou­le­ver­sait rien, les effets spé­ciaux, la tona­li­té, la nar­ra­tion même chan­geaient de la SF à la papa. Aujourd’hui, sa suite semble empri­son­née dans un res­pect dog­ma­tique des canons de l’Église, figé dans les mêmes codes : l’Opus Georgi a gagné, le concile Tatooine II atten­dra. Symptôme hal­lu­ci­nant : alors que Lucas avait tou­jours eu à cœur de pro­fi­ter de toutes les tech­no­lo­gies pos­sibles pour moder­ni­ser le ren­du de ses films (allant jus­qu’à refaire cer­tains mor­ceaux en images de syn­thèse vingt ans plus tard pour remettre la pre­mière série au goût du jour), Abrams est tout fier d’a­voir limi­té les effets spé­ciaux et tour­né en pel­li­cule comme son maître ! C’est d’au­tant plus con que du coup, le film a dû être conver­ti en sté­réo­sco­pie en post­pro­duc­tion pour ajou­ter le maca­ron « 3D » sur l’af­fiche, et vous direz ce que vous vou­drez, ça se voit.

Est-ce que c’est mau­vais ? Non. Je regarde encore Un nou­vel espoir avec plai­sir, c’est tou­jours fun, dis­trayant et effi­cace même si Mark Hamill joue comme une huître. Le réveil de la force se voit donc avec le même plai­sir : il est fun, dis­trayant et effi­cace même si Daisy Ridley joue comme un poulpe. Il a en plus un petit côté nos­tal­gique tou­jours sym­pa, et j’ai fran­che­ment pas­sé un bon moment ; c’est juste que j’a­vais l’im­pres­sion de l’a­voir déjà vu.