Océane

de Jonathan M. Shiff, 1994–1997, *** à *

Parfois, l’ac­tu vous fait repen­ser à une vieille série oubliée de votre ado­les­cence. Par exemple, on vous parle de la san­té décli­nante des océans, et ça vous rap­pelle cette his­toire de jeune fille qui vivait seule sur une île et col­la­bo­rait avec les gosses de la sta­tion sous-marine d’à côté pour lut­ter contre la pol­lu­tion, ou un truc du genre. Alors vous cher­chez un peu et par curio­si­té, vous finis­sez par revoir toute la série.

Ça s’ap­pe­lait donc Océane. C’est arri­vé en France en 1995, dans la fou­lée d’une vague de séries plus ou moins éco­los (occa­sion­nel­le­ment pour MacGyver, fon­da­men­ta­le­ment pour Capitaine Planète ou Widget par exemple). C’était l’é­poque où on pen­sait que l’é­du­ca­tion et l’in­for­ma­tion sur ces ques­tions amè­ne­raient iné­luc­ta­ble­ment à la mise en place de vraies poli­tiques éco­lo­giques à long terme, qui per­met­traient d’é­vi­ter dif­fé­rents murs avant la catas­trophe annon­cée. Oui, les mêmes murs qu’on a depuis explo­sés métho­di­que­ment un à un pour faire pas­ser un peu plus de pétrole dans l’at­mo­sphère, un peu plus de métaux rares dans nos appa­reils hi-tech et beau­coup plus de thunes dans des poches déjà pleines. Mais passons.

Mon sou­ve­nir d’Océane était très flou. En gros, les pho­tos sous-marines étaient trop belles, y’a­vait une baleine qui était un vrai per­son­nage qui par­ti­cipe à l’ac­tion, les jeunes vivaient dans une ville sous-marine super classe, ils avaient des aven­tures sur une île luxu­riante ou dans les fonds marins, et puis Neri, l’hé­roïne, était trop belle. Et, aus­si, y’a­vait des images qui reve­naient régu­liè­re­ment – c’est une des pre­mières séries où j’ai pris conscience de la notion de plan de coupe réuti­li­sé d’un épi­sode à l’autre.

Marzena Godecki dans le lac de l'île d'Océane
Le para­dis, c’est une cas­cade et un lac sur une île au milieu de l’o­céan sans per­sonne autour. — pho­to Pandastorm Pictures

Donc, qu’en reste-t-il trente ans plus tard ?

Comment dire…

En fait, fon­da­men­ta­le­ment, c’est un genre de Club des Cinq croi­sé Goonies mâti­né de Cousteau.

La mise en place est plu­tôt sym­pa. La pré­sen­ta­tion de Neri rap­pelle un peu celles de Tao ou de Mimi Siku : l’en­fant dans son envi­ron­ne­ment natu­rel, libre et heu­reux loin de l’é­cole et de la socié­té moderne. Par la suite, elle devient amie avec deux fran­gins et enchaîne les aven­tures, visant par­fois à sau­ver l’o­céan des acti­vi­tés humaines, par­fois à sau­ver un humain per­du en mer, par­fois à faire mûrir un peu les per­son­nages, par­fois à sau­ver un méga­ptère nom­mé Charlie, par­fois à pro­té­ger Neri contre les adultes qui pour­raient la décou­vrir. La pre­mière sai­son tourne assez bien, dans une ambiance un peu naïve mais avec un rythme cor­rect et des sujets variés. Enfantin et dis­trayant, mais sym­pa­thique. Le niveau baisse dès l’an­née sui­vante avec l’ar­ri­vée de per­son­nages pas très ins­pi­rés, mais la série conserve une cer­taine bonne humeur, une touche d’hu­mour absurde, des méchants ridi­cules, et Neri mûrit et prend conscience de ses responsabilités.

Dans la troi­sième sai­son, la qua­si-tota­li­té des per­son­nages secon­daires change sans expli­ca­tion. Et pour deux nou­veau­tés inté­res­santes (la fille du méchant et la gee­kette), on perd plein de gens atta­chants, rem­pla­cés par des Jean-Jacques inter­chan­geables. Le chan­ge­ment de l’ac­trice qui joue la mère est éga­le­ment l’un des « recas­tings » les moins ins­pi­rés de l’Histoire de la télé­vi­sion, presque du niveau de celui de la qua­trième sai­son du Prince de Bel-Air. Il ne s’a­git pas de cri­ti­quer Liz Burch, qui est une actrice tout à fait cor­recte dans l’ab­so­lu, mais Kerry Armstrong don­nait au per­son­nage un côté cha­leu­reux et une pointe d’hu­mour. Avec le recas­ting, son carac­tère plus froid colle moins à l’i­dée qu’on se fait d’une bio­lo­giste marine qui rêve de dis­cu­ter avec les baleines à bosse ou d’une mère de famille qui couvre les plans foi­reux de ses fils. Le chan­ge­ment annonce en revanche l’é­loi­gne­ment du per­son­nage des ques­tions envi­ron­ne­men­tales, qui culmi­ne­ra avec sa nomi­na­tion comme direc­trice de la sta­tion sous-marine – à par­tir de là, elle ne s’in­té­res­se­ra plus à l’o­céan que quand Neri ou ses fils lui rap­pel­le­ront que ça existe.

Notons tout de même que le fil rouge de cette troi­sième sai­son est plu­tôt bien géré. Déjà, il concerne une entre­prise déci­dée à construire une ville sous-marine, et vous savez que quand un méchant est pro­mo­teur immo­bi­lier, c’est sou­vent un bon départ. Ensuite, il pioche dans les recettes du film catas­trophe pour faire mon­ter la ten­sion de manière rela­ti­ve­ment effi­cace. Enfin, un per­son­nage secon­daire subit une vraie évo­lu­tion, sou­vent un peu naï­ve­ment, mais quand même.

Neri et ses amis dans un Zodiac
Les très nom­breux plans exté­rieurs ont assez bien vieilli. — pho­to Pandastorm Pictures

La der­nière sai­son, enfin, s’é­loigne des racines éco­los pour se plon­ger dans une intrigue d’es­pion­nage et de poli­tique à che­val sur deux pla­nètes. Les sujets sont poten­tiel­le­ment très inté­res­sants : ça parle lit­té­ra­le­ment de réchauf­fe­ment cli­ma­tique, de mon­tée des océans, de la catas­trophe que ça peut être en par­ti­cu­lier pour les popu­la­tions pauvres, ain­si que de migra­tion mas­sive pour quit­ter une pla­nète mou­rante. C’est d’ailleurs assez dépri­mant de se dire que ça fait trente ans et de voir où on en est…

Mais voi­là, c’est trai­té avec les pieds. On sur­vole tous les sujets sans jamais les creu­ser, et on emballe quelques clins d’œil réus­sis à Stargate : SG‑1 d’une tonne de dia­logues pom­peux, on injecte des méchants ultra-cari­ca­tu­raux aux plans dignes d’un flic de Signé Cat’s Eyes et on conclut avec une réso­lu­tion affli­geante de naï­ve­té et de facilité.

Sur le plan tech­nique, je l’ai dit, je me sou­ve­nais de plans sous-marins et syl­vestres magni­fiques et de plans de coupe récur­rents. Je vais mettre un bémol sur les pre­miers : oui, c’est joli, cer­tains sont vrai­ment réus­sis, et on appré­cie le fait que beau­coup de scènes ont été réel­le­ment tour­nées dans un coin de forêt de tro­pi­cale et dans l’o­céan (avec, du coup, des acteurs qui ont vrai­ment dû tra­vailler leur apnée et leurs qua­li­fi­ca­tions PADI). Mais on sent aus­si l’é­vo­lu­tion tech­no­lo­gique des trente der­nières années. Plage dyna­mique médiocre, expo­si­tion hasar­deuse et sur­tout images de syn­thèse très très très visibles sont les signa­tures de la série. Ça s’a­mé­liore dans la troi­sième sai­son, et l’île de Neri reste magni­fique mal­gré les limites tech­no­lo­giques, mais on a une meilleure qua­li­té d’i­mage avec un télé­phone moderne.

Et sur­tout, les plans sous-marins les plus élé­gants sont très sou­vent… des plans de coupe. On revoit tou­jours les mêmes pas­sages de Neri au-des­sus des récifs coral­liens, tou­jours les mêmes rota­tions de Charlie qui ramène sa nageoire le long de son ventre, tou­jours les mêmes vues de bancs de pois­sons qui se suivent à l’u­nis­son. Avec le recul, j’a­vais dû voir à l’é­poque la pre­mière sai­son et c’est à peu près tout, et j’a­vais à peine noté quelques répé­ti­tions ; mais au bout de quatre sai­sons, ces plans objec­ti­ve­ment jolis deviennent aus­si mono­tones que le dia­po­ra­ma du voyage de votre tante à Hawaï qu’elle repasse en boucle chaque fois que vous la voyez.

Océane dans l'eau à côté de Charlie
Charlie, le méga­ptère, a sou­vent un rôle dans l’in­trigue, mais on ne le voit qua­si­ment que dans des plans de coupe copiés-col­lés. — pho­to Pandastorm Pictures

En tant que type qui bosse sur les langues au quo­ti­dien, il y a un détail sur­pre­nant que j’ai appré­cié en revoyant la série : Neri, qui n’a gros­so modo pas eu de contact avec les gens de sept à seize ans, parle dans un anglais basique, pué­ril et haché, qui s’a­mé­liore rapi­de­ment mais reste long­temps inégal. C’est un petit détail, mais plu­tôt bien trai­té. Ça ne m’a­vait pas du tout mar­qué à l’é­poque et j’ai été curieux de voir ce que ça don­nait en fran­çais ; j’ai donc reje­té un œil aux trois pre­miers épi­sodes en ver­sion dou­blée. Et là… La tra­duc­tion est com­plè­te­ment pas­sée à côté du truc : Neri parle un fran­çais cor­rect dès le départ. En prime, les autres per­son­nages l’ap­pellent par­fois Neri, par­fois Océane, sans qu’on com­prenne pour­quoi, alors qu’elle a bien dit qu’elle s’ap­pe­lait Neri dans le deuxième épi­sode et que c’est sous ce nom qu’on l’a pré­sen­tée aux autres. Apparemment, quel­qu’un chez le dis­tri­bu­teur fran­çais a jugé qu’il fal­lait abso­lu­ment que le titre de la série soit le nom de l’hé­roïne, mais ceux char­gés du dou­blage ont cra­qué une fois sur deux.

Bref, au départ, Océane est une série éco­lo grand public pour enfants et ados qui n’a rien de vrai­ment génial, mais qui reste rai­son­na­ble­ment bien faite et bien menée. Mieux, ses thé­ma­tiques res­tent hélas tout à fait d’ac­tua­li­té. C’est donc gen­tillet et pré­vi­sible, mais tout à fait regar­dable. Par la suite, de grosses mal­adresses sont venues plom­ber la série, avec des méchants tou­jours plus cari­ca­tu­raux, des nou­veaux per­son­nages par­fois fran­che­ment ratés (Kal, si tu te demandes pour­quoi j’ai pas par­lé de toi, c’est sim­ple­ment que j’es­saie très fort d’ou­blier ton exis­tence…) et un ton de plus en plus pom­peux, au point qu’on arrive au bout du der­nier épi­sode avec un cer­tain soulagement.