Pris au piège
|de Darren Aronofsky, 2025, ****
Bud vit tranquillement dans le Lower East Side, chez Russ. Mais celui-ci repart en Angleterre pour voir son père malade, et Bud emménage temporairement chez son voisin de palier, Hank — un ancien joueur de base-ball californien, fan des Giants, barman et alcoolique. Dans la foulée, deux mafieux slaves venus chercher Russ tabassent Hank, heureusement sans trouver la clef : celle-ci est planquée dans la litière de Bud.
Quoi, je vous avais pas dit que Bud était un chat ?
Ben c’est fait.

Donc, Bud est un chat, mais il est bien plus qu’un personnage secondaire. Non seulement c’est par lui que l’intrigue commence, mais c’est souvent lui qui la relance. Présent d’un bout à l’autre, il sert de motivation à Hank, au même titre que la peur que sa copine se barre, la volonté de survivre aux mafias qui lui courent après, et l’envie de comprendre ce qu’il se passe.
Ça peut paraître accessoire, mais ça change pas mal de choses dans ce film qui, sur le papier, n’est qu’une énième variation sur le thème « type normal aspiré par hasard dans une intrique mafioso-policière qui le dépasse ».
L’autre point qui change tout, c’est la gestion de la dépendance. Hank est alcoolo et, suite à sa rencontre avec le duo d’exécuteurs russes, il perd un rein : il doit donc arrêter totalement l’alcool du jour au lendemain, au risque de détruire l’unique organe restant. Évidemment, il essaie, évidemment, il rechute, évidemment, sa rechute complique singulièrement l’intrigue policière.
Notez que cette partie est celle qui fait de ce film un vrai Aronofsky. Parce que bon, vous connaissez Darren : il aime sauver des acteurs oubliés (il a quand même donné un Oscar à Brendan Fraser !!!), il aime remettre en question la religion, et il a une obsession pour les corps et ce qu’on leur fait subir.
Ici, pas de premier rôle perdu, au contraire : Butler est au sommet de sa gloire, King est sur une pente ascendante, Kravitz vient de remporter un Emmy, Smith accumule les succès discrets mais remarquables, Schreiber 1, etc. La critique de la religion est ici très secondaire, même si l’hypocrisie de certains croyants est un ressort comique et narratif — tuer des gens mais pas vouloir conduire parce que c’est le jour du sabbat, ça peut amener à une position difficile à tenir.

Ajoutons que c’est sans doute 2 le film de plus drôle de Darren, avec un bon lot de rebondissements absurdes enjoués, de réactions caricaturales, de vannes faciles et de détails rigolos. On dirait qu’il a décidé que c’était l’heure de la récré et qu’il était temps de faire une vraie comédie, certes avec un fond noir et grinçant mais plutôt nourrie de bonne humeur.
Il reste donc, pour reconnaître un Aronofsky, le traitement des corps, et plus spécifiquement de celui du héros. Qui le détruit méthodiquement après l’avoir abîmé accidentellement et avant de se le faire démonter par des teigneux. Comme souvent chez Darren, ce qui arrive au corps est le reflet de l’esprit, et on retrouve un peu des drogues de Requiem for a dream, un peu de l’auto-destruction de The Wrestler, un peu de la nécessité de dépasser les blessures et la souffrance de Black swan. Au passage, on n’échappe logiquement pas aux gros plans explicites sur telle fracture ou telle plaie rouverte, une signature du réalisateur qui curieusement fait ressortir le côté absurdement comique de son nouvel opus. On s’esclaffe entre deux haut-le-cœur, donc, mais on s’esclaffe de bon cœur.

Le résultat est donc bourré de paradoxes, drôlement dur et cyniquement optimiste, mais c’est une excellente comédie policière noire et assez trash, qui renouvelle élégamment le genre.
Et puis bon, tout repose sur un chat. Si j’en crois Internet, c’est déjà une qualité.