Ray Donovan

de Ann Biderman, depuis 2013, ****

Les Irlandais sont des gens remar­quables. Joyeux, sachant faire la fête comme per­sonne, tou­jours prêts à filer un coup de main, loyaux et fidèles en ami­tié comme en amour, ils peuvent en revanche s’a­vé­rer vague­ment alcoo­liques, un peu tei­gneux et légè­re­ment rancuniers.

Raymond Donovan est un Irlandais typique. Enfin, sauf pour ce qui est de la gaie­té, de la ser­via­bi­li­té, de la loyau­té et de la fidélité.

Ray tra­vaille à Hollywood : il est arran­geur. Pas le genre d’ar­ran­geur qui équi­libre les orches­tra­tions des bandes-son, non, l’ar­ran­geur qui arrange le coup quand un acteur veut faire com­prendre à son agent qu’il est temps de lui rendre sa liber­té, quand une chan­teuse veut être défi­ni­ti­ve­ment et dis­crè­te­ment débar­ras­sée d’un mateur, ou quand un pro­duc­teur trouve une pute mineure morte d’o­ver­dose dans son lit au petit matin. Dealeur, homme de main, garde du corps, maître chan­teur, péteur de genoux, voire assas­sin au besoin, Ray arrange le coup, touche beau­coup d’argent, le fait pas­ser dans les comptes de la salle de boxe de son frère Terrence, rentre dans sa gar­çon­nière pour chan­ger de che­mise, et retourne chez lui tran­quille­ment le soir venu. Ray a un employé sor­ti du Mossad, une employée sor­tie d’un mau­vais pas, une jolie mai­son, une Mercedes CLS, une femme irlan­daise, carac­té­rielle et ado­rable, deux enfants ado­les­cents amé­ri­cains, et suf­fi­sam­ment peu de sens moral pour s’as­su­rer que tout ce petit monde ne manque jamais de rien.

Mais Ray a un pro­blème : son père Mickey est sor­ti de taule, où il était pour avoir ven­du de la dope — dope dont sa fille unique, sœur cadette de Ray et Terry, était pleine lors­qu’elle a sau­té d’un toit. Pis : Mickey n’a jamais rien fait contre le curé de Boston qui a vio­lé son ben­ja­min, le gen­til, doux, fêtard et un peu naïf Brendan. Pire encore : Mickey a déci­dé de quit­ter Boston pour s’ins­tal­ler à Los Angeles.

Au fait, Mickey, j'ai invité Sully à venir te buter. Pas d'objection ? - photo Showtime
Au fait, Mickey, j’ai invi­té Sully à venir te buter. Pas d’ob­jec­tion ? — pho­to Showtime

Or, Ray est fran­che­ment alcoo­lique, tota­le­ment tei­gneux et par­ti­cu­liè­re­ment ran­cu­nier. Vingt ans de pri­son, pour ce père indigne, ce n’est pas assez. Ray retrouve un ancien asso­cié de Mickey et lui pro­pose un deal simple : pour deux mil­lions de dol­lars, venir à son tour à Los Angeles et envoyer le padre ad patres.

Rassurez-vous, ça, ça n’est que la mise en place. Retenez bien une chose : Ray Donovan est un type à peu près aus­si sym­pa que Clay Morrow et aus­si hon­nête que Jax Teller. Il a une bagnole de cadre supé­rieur, une mai­son de star du ciné­ma, un cos­tard de créa­tif et la car­rure de Liev Schreiber, mais si on regarde à tra­vers le ver­nis, c’est une putain de cre­vure qui n’au­ra aucun scru­pule à tabas­ser le petit copain de sa fille juste parce que sa tête ne lui revient pas — même si c’est elle qui l’a choisi.

Okay, je t'explique gentiment : boss du FBI, c'est exactement comme acteur de série B. Soit tu me manges dans la main, soit tu manges ma main dans ta gueule. - photo Showtime
Okay, je t’ex­plique gen­ti­ment : boss du FBI, c’est exac­te­ment comme acteur de série B. Soit tu me manges dans la main, soit tu manges ma main dans ta gueule. — pho­to Showtime

Pourquoi donc s’in­té­res­ser à Ray ?

Parce qu’il est tou­jours fas­ci­nant d’ob­ser­ver un ani­mal à sang froid dans son milieu natu­rel. Parce que voir com­ment cette ordure peut retour­ner une situa­tion par un coup de billard impré­vu est jouis­sif. Parce que les seconds rôles sont variés, du très gen­til au très méchant en pas­sant par le hon­teux qui essaie de se convaincre lui-même qu’il est un type bien et le carac­té­riel qui a meilleur fond qu’il ne le croit lui-même. Parce que tous les per­son­nages ont droit à une per­son­na­li­té (plus ou moins hon­nête, plus ou moins intel­li­gent et plus ou moins scru­pu­leux), que cha­cun a une his­toire, et que la vie des seconds rôles prend par­fois le pas sur le fil rouge prin­ci­pal. Parce que le catho­li­cisme en prend plein la gueule.

Parce que les dia­logues sont par­fois superbes, que l’é­cri­ture par­ti­cu­liè­re­ment soi­gnée ne se sent pas obli­gée de créer des cliff­han­gers à inter­valles régu­liers (d’ailleurs, la durée des épi­sodes varie pas mal selon les besoins), parce que l’é­qui­libre entre comique franc, humour cynique, ten­sions fami­liales, polar noir, res­sorts psy­cho­lo­giques, vio­lence gra­tuite et sus­pense hale­tant est par­ti­cu­liè­re­ment bien fichu.

On n'a absolument rien à voir avec Ray, d'ailleurs on ne l'a jamais rencontré. Mais on a une vraie histoire, une vraie importance, de vrais dialogues et de vrais acteurs. - photo Showtime
On n’a abso­lu­ment rien à voir avec Ray, d’ailleurs on ne l’a jamais ren­con­tré. Mais on a une vraie his­toire, une vraie impor­tance, de vrais dia­logues et de vrais acteurs. — pho­to Showtime

Parce que, aus­si, le casting.

Le plus mau­vais du lot est sans doute Steven Bauer, mais son per­son­nage ayant beau­coup de traits cari­ca­tu­raux, c’est un peu nor­mal. Pour le reste, autour d’une paire d’ac­teurs de pre­mier plan, on trouve un ensemble de gens sou­vent sous-esti­més qu’on n’a jamais vus aus­si bons. Ils ont évi­dem­ment l’a­van­tage d’a­voir des per­son­nages creu­sés et de bons dia­logues, mais le soin tech­nique est mani­feste : pho­to, réa­li­sa­tion, mon­tage et donc direc­tion d’ac­teurs sont dans le haut du panier des séries américaines.

Bien enten­du, si on aime les séries où il y a des gen­tils, si on aime les héros droits et hon­nêtes, si on n’aime pas la vio­lence ou si on a peur du sang, il vaut mieux regar­der autre chose. Mais dans le cas contraire, ce polar fami­lial cynique, bru­tal, bour­ré d’ac­tion et de psy­cho­lo­gie tor­tu­rée, est incontournable.