Pilote d’essai
|de Victor Fleming, 1938, *
Ducon est pilote d’essai. Il doit battre le record de traversée des États-Unis sur le Drake Bullet, mais une panne l’oblige à un atterrissage d’urgence dans un champ du Kansas. Logiquement, il commence par insulter la jeune fille de la ferme qui accourt pour l’aider. Donc elle l’envoie chier, et du coup ils tombent amoureux, selon la logique de Roken 1. Donc ils se marient, et puis Ducon se lance dans une course genre National Air Races, mais hélas c’est un type bien qui meurt, alors Ducon boit sa prime loin de sa femme et revient quand il a plus un rond, mais elle lui en veut pas puisqu’elle est mariée et que bah c’est le boulot d’une épouse de soutenir son Ducon même quand tout ce qu’il mérite est un énorme coup dans les glaouis, un divorce et une saisie d’huissier, et puis y’a d’autres péripéties mais je vous laisse la surprise.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, y’a pas que des trucs pourris. Les scènes aéronautiques sont même généralement assez potables : les scénaristes se sont demandé ce qui pouvait effectivement lâcher sur un avion de record et qui soit réparable sur le terrain avec un peu de matériel, une vrille n’est pas présentée comme un truc mortel en soi et ne devient dangereuse que quand la charge utile est déstabilisée (chose qui s’est produite à plusieurs reprises dans la vraie vie)… Bref, on sent que Frank Wead, auteur du script initial, savait un peu de quoi il parlait.
Mais il est tout aussi évident que côté humain, relationnel, sentiments, tout ça, personne n’avait la moindre idée du sujet. Ou alors les habitants des États-Unis en 1938 étaient d’une autre espèce que nous. En tout cas, on a vraiment l’impression que le meilleur moyen de séduire quelqu’un, c’est de le traiter comme de la merde et de miser à fond sur le syndrome de Stockholm. Et surtout, ça dure, ça dure, ça dure… Le film dure presque deux heures, avec peut-être un quart d’aviation et trois quarts de mélo guimauvineux, malsain et répétitif.

Faut-il le voir ? Oui, sans doute, ne serait-ce que pour réaliser à quel point, du trio de têtes d’affiche, Gable était clairement le maillon faible. Ou alors, il était lui-même affligé par son personnage, je sais pas. Les scènes aéronautiques plutôt réussies méritent le coup d’œil, malgré une paire d’effets de manche un peu faciles. Et ce film a laissé des traces dans pas mal d’œuvres postérieures (le vol alpin des Chevaliers du ciel est un lointain écho de la séquence de voltige de Pilote d’essai, par exemple). Et il y a une (et une seule hélas) scène psychologique assez réussie, le « à quoi bon ? » qui a permis à McQueen et Montand de marquer les esprits, ici servi de l’autre côté du miroir par une Myrna Loy excellente quoiqu’un poil théâtrale.
Il y avait en fait matière à un bon film, en coupant la moitié des scènes sentimentales et en réécrivant ce qui reste pour que ça soit un peu moins un éloge de la masculinité toxique (même selon les standards des années 30).
- En gros : c’est moi que Waha tape et insulte tout le temps, donc c’est moi qu’elle aime.[↩]