Hawaii Five‑0
|de Peter Lenkov et Alex Kurtzman, 2010–2020, ***
Danny a pas de bol. Non seulement sa femme a divorcé et s’est barrée avec sa fille à Hawaï, littéralement à l’autre bout des États-Unis (ils vivaient heureux dans le New Jersey), mais à peine muté au commissariat d’Honolulu, il tombe nez à nez avec ancien SEAL décidé à venger son père en tirant dans le tas. Pire : le gouverneur pense que ce serait une bonne idée de l’envoyer dans une task force dédiée à cette affaire, dirigée par… le SEAL en question.
Là, déjà, vous voyez une différence majeure avec Hawaï police d’État, dont Hawaii Five‑0 est un remake1 : tout ne tourne pas exclusivement autour de McGarrett. On peut facilement réécrire le premier épisode du point de vue de Danny, et avec un poil plus de boulot on pourrait faire l’ouverture vue par Chin Ho ou Kono. Du reste, Chin Ho et Kono sont ici différents, pas seulement parce que celui-ci est devenu une femme : ils ont des caractères, des passés et des histoires. Et tous ces personnages (et d’autres) ont des épisodes qui les mettent particulièrement en avant.
Ça n’a l’air de rien, mais ça change tout. Non seulement les personnages sont plus humains, mais leurs échanges, les évolutions de leurs situations, leurs réactions aux événements rythment la série et évitent le sentiment de répétition de l’originale. Celle-ci était un pur polar, toujours sur le même moule ; elle passait par la grâce de la diffusion d’un épisode hebdomadaire, mais supporte très mal le binge watching moderne. Le remake change de thème et de centre d’intérêt à chaque épisode ou presque, formant un feuilleton qui s’enchaîne assez naturellement.
Par ailleurs, la nouvelle mouture reprend les nombreuses scènes extérieures de la précédente, s’enfonçant régulièrement au fin fond des jungles d’Hawaï, explorant les pics vertigineux d’O’ahu ou faisant le tour des fonds océaniques alentours. Et comme les caméras ont beaucoup progressé en quarante ans, la carte postale est encore plus sublime.
Au-delà du fait que le cadre est parfois un personnage à part entière, la série laisse aussi une part aux autochtones : leurs croyances, traditions et langues sont régulièrement intégrées aux intrigues, et leur mélange avec les habitudes des Américains continentaux et celles des immigrés asiatiques donne un melting-pot coloré où vêtements, religions et expressions cohabitent plus ou moins harmonieusement. Y’a juste, évidemment, quand un type tient à garder sa chemise à rayures et sa cravate qu’il va vraiment avoir du mal à s’intégrer…
Suffit-ce à en faire une grande série ? Non, évidemment. En fait, Hawaii Five‑0 est une série d’action policière moderne typique. Elle repose sur des enquêtes oscillant entre polar et espionnage et surtout un duo emmerdeur/emmerdé, le héros étant cette fois l’emmerdeur (qui refuse de lâcher le volant, qui fonce en tirant dans le tas, qui fait régulièrement plomber ses équipiers…). Cette recette de base, déclinée jusqu’à la « thérapie de couple » dans des épisodes parfois hilarants, s’accompagne d’une bonne dose d’humour facile, de scènes spectaculaires et d’un lot de rebondissements parfois franchement capillotractés. Et, pour les gens qui ont connu les années 70 et 80, de références plus ou moins discrètes aux séries et films de l’époque, de Bullitt à Scooby-Doo.
Du coup, c’est distrayant, entraînant, mais pas toujours cohérent. Je vais pas vous dire avec qui Kono sort, mais franchement, c’est aussi crédible que Gérard Depardieu vous annonçant qu’il a battu le score de Nadia Comǎneci aux barres asymétriques2. Et la vie de ce personnage ensuite donne l’impression que les scénaristes ont bu, fumé et sniffé tout ce qu’ils ont trouvé dans les casiers des stups d’Honolulu avant d’écrire leur script.
On retrouve aussi, de façon assez lourdingue, les obsessions de Lenkov pour les parents disparus qui redébarquent en foutant encore plus la merde, comme dans sa réinterprétation de MacGyver. Au fil des saisons et des personnages, il refait le coup une demi-douzaine de fois, autant d’occasions pour le spectateur de renouveler sa collection de facepalms.
Quelque part, Hawaii Five‑0 est donc plus proche de l’esprit de Starsky et Hutch que d’Hawaï police d’État. Ce qui est plutôt un bon point, mais n’en fait pas une œuvre mémorable. Et si de nombreux clins d’œil à l’originale seront très appréciés des fans, les scénaristes ont parfois raté des occasions de mise en abîme pourtant simples et adéquates.
Un exemple tout bête : le « Five‑O » de la version originale renvoyait au statut d’Hawaï, 50e État, tout nouveau à l’époque (il n’avait même pas dix ans lors du lancement de la série). De manière assez amusante, il a essaimé dans tous les États-Unis pour désigner les forces de l’ordre ou plus spécifiquement pour annoncer leur arrivée (les « five‑o ! » des guetteurs de The Wire par exemple, comme « 22 » chez nous). En 2010, même les Hawaïens se rappelant à peine que leur État est le 50e, il n’était logiquement pas question de réutiliser l’argument historique. Lorsque les membres de la task force en cours de constitution cherchent un nom, ils proposent donc des idées… et prennent le numéro de joueur de McGarrett au lycée. Okay, à la limite, pourquoi pas. Mais comment, à ce moment-là, aucun ne s’exclame un truc genre « Ah ouais, pis comme ça quand on criera « Five‑0 personne ne bouge ! », on pourra dire qu’on retourne le stigmate ! », histoire renvoyer la balle à ceux qui l’ont empruntée à Hawaï police d’État ?
Bref, de l’action débridée, un code de procédure pénale généreusement ignoré, de l’humour facile mais bien servi, des intrigues variées, des personnages un peu creusés et divers, une tonalité assez équilibrée entre tragique et léger, des paysages sublimes excellemment filmés et un lien régulier avec la culture locale et la population autochtone. C’est bien, mais ça ne fait pas tout, et si Hawaii Five‑0 se regarde avec plaisir, cela reste une série de presque pure distraction, avec un gros bourrin bas de plafond en guise de héros.
- En version originale, le titre est le même à un détail près : la version des années 60 avait un O à la place du 0.
- En passant, je viens de revoir sa prestation à Montréal en 76 aux barres, à la poutre et au sol. Ben, malgré tout ce qu’on a pu voir comme gymnastes extraordinaires dans les années 90–00 (j’ai moins suivi après les JO d’Athènes), ses enchaînements et ses réceptions restent ahurissants de vitesse, de précision et d’équilibre.