Hawaï police d’État (épisodes 1–10)
|de Leonard Freeman, 1968, **
Quand j’étais minot, là-bas, du mauvais côté du Rhône, j’avais pas la télé (faut dire que sans électricité, elle marche beaucoup moins bien). Mais, de temps en temps, passant le mercredi après-midi chez des camarades, j’en croisais une qui marchait. Et j’en profitais pour découvrir Les mystérieuses cités d’or (mon coup de cœur absolu), Signé Cat’s Eyes, Il était une fois…, Ulysse 31, et d’autres. Parmi les autres, quelques séries filmées m’avaient marqué : L’agence tous risques, avec son mélange original de grosse baston et d’humour grand public voire franchement puéril ; Les mystères de l’Ouest, avec son générique en BD animée jouant sur la mise en cases comme du Gotlib et ses intrigues imprévisibles passant de l’espionnage au steampunk ou à la SF (il faudra que je m’y repenche un jour) ; et Hawaï police d’État, avec son générique exotique, ses histoires policières haletantes et ses paysages sublimes.
Alors voilà, vu que cette série a fait l’objet d’un remake, j’ai voulu revoir l’originale. Et j’ai effectivement revu les dix premiers épisodes.
D’un côté, je comprends le succès qu’elle a eu à l’époque (y compris vingt ans plus tard lors des rediffusions françaises). Elle a de véritables qualités, à commencer par ses décors. L’océan Pacifique et Hawaï sont, clairement, toujours sublimes, même filmés avec les technologies des années 60. La série était largement tournée en extérieur, un choix alors inhabituel, et s’intégrait réellement à l’environnement local : les paysages de forêts, de montagnes et d’océan étaient quasiment des personnages à part entière. Elle mettait aussi en avant les traditions des autochtones et le melting-pot racial et culturel de l’archipel (avec ses nombreux immigrés japonais et philippins et ses Américains d’origines diverses, de l’homme d’affaires au surfeur hippie). Mieux : c’était peut-être la seule série de l’époque à parler clairement des aspects délicats de l’Histoire des États-Unis, évoquant par exemple les camps de concentration où les immigrés japonais ont été parqués dès 1941 sans jugement ni condamnation, juste suspects administratifs.
D’un autre côté, certains aspects ont salement vieilli. Hawaï police d’État pourrait tout aussi bien s’appeler « Steve McGarrett, super flic ». Elle est totalement centrée sur ce personnage, les autres étant des accessoires destinés à le soutenir. En particulier, Chin Ho et Kono sont totalement interchangeables, et les victimes et témoins des meurtres sont présentés plus en détail et ont une personnalité mieux définie qu’eux ! Pour autant, McGarrett n’est pas non plus très creusé : c’est un super-flic et un surhomme, point. Et quand je dis surhomme, je n’exagère pas. Dans l’épisode pilote, on nous montre que des agents hautement entraînés ne peuvent supporter plus de quelques heures dans un bassin d’isolation sensorielle avant de devenir légumineux ; mais McGarrett, lui, y passera huit heures et en sortira parfaitement opérationnel, prêt à mettre des tatanes !
Ce culte du héros s’accompagne de l’absence quasi absolue d’intrigues secondaires. Les scénarios partent d’un crime (ou plus rarement d’un délit grave), déroulent l’enquête au fil des témoins, des suspects à écarter et des pistes à oublier, finissent avec l’arrestation du méchant (le célèbre « book’em, Danno ») ou plus rarement sa mort ou sa fuite, et ne laissent que très peu de place aux réflexions personnelles, aux relations et à l’évolution des gens. C’est donc très entraînant, mais psychologiquement et humainement très pauvre. Ça n’est pas gênant quand on a huit ans et qu’on en voit un épisode par semaine, mais quand on les enchaîne avec un peu plus d’esprit critique, le schéma répétitif et la superficialité des personnages lassent très vite.
Voilà donc une série de la fin des années 60 typique sur le fond, avec son héros fort et irréprochable sur lequel tout repose, ses épisodes totalement indépendants qu’on peut voir n’importe quand sans rien rater de l’histoire, et du coup ses personnages figés auxquels personne ne s’intéresse. Mais elle offre aussi de vraies innovations dans la forme, avec son héros respectueux des traditions hawaïennes comme des hippies pacifistes (rappelons que les États-Unis sont à l’époque en pleine guerre du Vietnam), sa large utilisation de décors naturels et sa mise en avant de cultures et de paysages exotiques. Clairement pas faite pour être vue en 2022, elle a cependant sans doute apporté un beau vent de fraîcheur lors de son apparition.