The Terror
|de David Kajganich et Soo Hugh, 2018, ****
Nous sommes en 1847. Le Terror et l’Erebus naviguent de conserve depuis deux ans. Leur commandant, John Franklin, un commodore expérimenté spécialiste de ce type d’expéditions, a une capacité originale : il peut aller d’un navire à l’autre à pied.
Oh, rien de christique là-dedans. En fait, chaque membre de l’un ou l’autre équipage peut en faire autant, pour peu qu’il en ait reçu l’ordre.
C’est que, entre le Terror et l’Erebus, l’eau est quelque peu solide. Suffisamment solide pour que, malgré leurs puissantes machines à vapeur et les pics de leurs équipages, aucun des deux navires ne puisse bouger d’un pouce. Cherchant un hypothétique passage du Nord-Ouest, ils se sont laissé prendre dans les glaces près de Resolute, ont tenté dans l’été de chercher une ouverture plus au sud, se sont à nouveau fait piéger quelque part entre l’île du Prince-de-Galles et celle du Roi-Guillaume…
Ce deuxième hivernage a tiré sur les réserves, alimentaires comme morales. Franklin et ses deux capitaines, Fitzjames et Crozier, doivent choisir : abandonner les navires, marcher vers le sud et chercher assistance auprès des Inuits ou des postes avancés de la Compagnie de la Baie d’Hudson ; ou bien, rester à bord en espérant que les glaces se brisent avant la fin des vivres, et dans ce cas pousser vers la mer de Beaufort ou revenir vers celle de Baffin. Mais ce n’est pas le seul problème : de nombreux hommes ont des ennuis de santé, des troubles de la mémoire, une faiblesse générale, des petits œdèmes, une coloration des gencives… Le médecin en second du Terror, Harry Goodsir, commence à suspecter qu’il y a autre chose que le scorbut : les soudures au plomb des boîtes de conserve, seules sources de nourriture en l’absence de gibier.
Pour ne rien arranger, depuis qu’un marin paniqué a abattu un Netsilik qu’il avait pris pour un ours1, les équipages subissent les assauts occasionnels d’une bestiole insaisissable, qui semble à la fois plus costaude et plus maline que les autres créatures du Grand Nord…
D’entrée, l’ambiance est plantée, aussi sûrement que l’Erebus dans sa banquise. Il fait froid, il fait nuit depuis des mois, les gens sont à cran et se demandent ce qu’ils foutent là, certains marins doutent de leurs officiers, les officiers doutent de certains marins, les officiers doutent de certains officiers, et les petites querelles d’ego entre les capitaines des navires et le commandant de la mission mettent tout le monde à mal.
La réalisation est particulièrement soignée, notamment sur le plan photographique, avec des plans sublimes aussi bien dans le clair-obscur des cales que dans la nuit arctique ou sous le soleil omniprésent de l’été polaire. Les acteurs sont dans l’ensemble excellents : Adam Nagaitis a bien un peu tendance à cabotiner par moments, mais son personnage le demande et le reste du casting offre une implacable sobriété qui colle parfaitement aux rudes hommes de mer qu’ils interprètent. C’est d’autant plus notable que quand on regarde la distribution, ça ressemble un peu à une sélection d’éternels seconds rôles qui ont enfin leur occasion de briller, et qu’ils se mettent entièrement au service de leurs personnages.
Mais ce n’est pas sur la technique, le casting ou même le scénario que les auteurs comptent. The Terror fait partie de ces séries qui reposent sur l’ambiance, où il ne se passe objectivement rien de bien remarquable (l’immense impact historique de l’expédition Franklin est surtout dû au total mystère qui l’a entourée pendant un siècle et demi). C’est un petit thriller psychologique mâtiné d’une touche de fantastique, mais les petits détails et la présentation détaillée des personnages donnent corps à une atmosphère aussi dure que les glaces de Baffin, aussi implacable que l’hiver 1847. Même si, comme moi, vous avez dévoré une paire de bouquins sur les expéditions polaires et savez qu’aucun équipier n’a survécu, le suspense est réel, dense, nourri autant, sinon plus, des tensions internes aux explorateurs — qui savent bien que « cet endroit veut votre peau » — que des affrontements entre individus ou entre groupes.
Et si vous avez dévoré une paire de bouquins sur les expéditions polaires, vous en profiterez pour noter le soin de la reconstitution historique, tant des décors que des personnages, tous conformes à ce qu’on sait d’eux. Ça participe évidemment à la crédibilité de l’ensemble, et vous vous surprendrez à compter sur les doigts de la main les pinaillages possibles, le principal étant que la dernière position visible des navires ne correspond pas aux endroits où les épaves ont été retrouvées (seulement deux ans avant la diffusion de la série).
C’est donc une dizaine d’épisodes absolument captivants que l’on vous propose ici, qui ne souffre que de quelques ruptures de rythme occasionnelles mais qui vous fera passer un excellent hiver, bien froid et bien blanc.