MacGyver
|de Peter Lenkov puis Monica Macer, 2016–2021, **
Angus MacGyver a une vingtaine d’années. Geek fan de sciences appliquées, il a servi comme démineur dans l’armée, un domaine où son sens du bricolage s’est avéré précieux. Démobilisé, il a rejoint une agence gouvernementale, le DXS, chargée d’opérations secrètes (qu’il doit donc cacher à son meilleur pote et colocataire). Il y fait partie d’une petite équipe, dirigée par la rigide Patricia Thornton, avec son vieux pote de l’armée Jack Dalton comme gros bras et sa copine hackeuse, Nikki Carpenter. Celle-ci étant une vilaine traîtresse, elle est remplacée par la belle-fille de Jack, une hackeuse assez talentueuse pour s’être retrouvée en tôle. Puis, c’est tout le DXS qui est compromis, et l’équipe se reforme sous la couverture d’un think tank baptisé Fondation Phoenix, sous la direction de la caractérielle mais généreuse au fond Mathilda Webber.
Normalement, à ce stade, vous vous dites que ça ressemble à beaucoup de séries d’action modernes : un agent jeune (donc beau gosse), un ancien commando, une hackeuse marginale, des directrices rigides, un coloc encombrant-mais-rigolo qui rejoint l’équipe, le tout agissant comme un petit groupe secret pour démêler des problèmes insolubles. De fait, les premiers épisodes font immanquablement penser à Burn notice : teignez Jeffrey Donovan en blond, mettez Fiona à la tête de l’équipe, trouvez une hackeuse, et c’est plié.
Hein ?
Comment ça, ça vous faisait penser à autre chose ?
Un héros blondinet qui passe sa vie à réinventer des outils avec un couteau suisse, flanqué d’un type appelé Jack Dalton et dirigé par un Thornton, avec une relation ambivalente avec une Nikki Carpenter, vous dites ? Tiens c’est vrai, vous avez vu ça où ? MacGyver, dites-vous ?
Ah ah ahahahahaa. Bonne blague.
Non mais sérieux, arrêtez de croire n’importe quoi. Si on veut chercher une inspiration dans les années 80, prenons plutôt L’agence tous risques, ceux de la fin, quand l’équipe devient un commando militaire. Remplacez Mr T par George Eads, George Peppard par Sandrine Holt, Dirk Benedict par Lucas Till, Dwight Schultz par Justin Hires, racontez le tout du point de vue de Futé, ajoutez quelques morts et des téléphones portables, et le tour et joué.
Le MacGyver de Zlotoff était une série décousue oscillant entre action, géopolitique, drame social, écologie, polar et même fantastique d’un épisode à l’autre, avec un héros orphelin qui avait pris l’habitude de se débrouiller seul avec les moyens du bord. Du coup, devenu quadragénaire, celui-ci était un dragueur incapable de construire de vraies relations, pas très doué pour le travail d’équipe, fonctionnant en binôme avec la seule personne en qui il avait vraiment confiance.
Ce MagGyver-ci est une série parfaitement calée dès le premier épisode, aux arcs narratifs systématiquement étalés sur plusieurs épisodes, purement orientée action/espionnage. Son héros a la vingtaine, il est bien intégré avec les gens et les femmes, il dispose d’une équipe soudée autour de lui et est suffisamment équilibré pour pardonner son pôpa (un rebondissement aussi cohérent que si on vous disait, je sais pas, qu’on va utiliser un amortisseur parasismique pour déclencher un tremblement de terre).
Pire, l’original était une série profondément politique, ancrée dans la guerre froide, dont les héros pactisaient régulièrement avec les soviétiques pour sauver le monde ou juste faire avancer la science et la paix. Elle sautait à pieds joints dans les sujets sociaux et environnementaux et si Mac était très américain vis-à-vis du reste du monde, il était aussi très critique vis-à-vis de la politique, des institutions et de la société américaines. La nouvelle série évite soigneusement tout sujet politique, semble socialement satisfaite d’un bout à l’autre et ne critique jamais le gouvernement et les agences de son pays, les méchants étant toujours des individus ou des sociétés secrètes.
En somme, les modifications du caractère des personnages font penser au charcutage de Point of impact dans l’adaptation Shooter. On supprime tout ce qui fait de l’ambiguïté et risquerait de ressembler à un commentaire sociopolitique, et pour compenser ce qu’on a perdu d’intérêt humain, on réinjecte de la tension artificielle gratuite (« J’aime le héros mais il aime l’autre » ou « J’aime pas les bricoleurs, alors je vais diriger votre équipe », ou encore « T’as fait semblant d’être mort, vilain, va »).
Non, sérieux, il n’y a que trois points communs entre les deux séries :
- les noms des personnages des premiers épisodes (ils finissent presque tous par disparaître) ;
- le couteau suisse (encore qu’il est beaucoup plus épais) ;
- le personnage le plus fascinant n’est présent que dans une poignée d’épisodes, c’est un tueur qui se fait appeler Murdoc.
Soit dit en passant, si tout le reste est un « reboot » maladroit où les personnages sont l’opposé de ce qu’ils étaient et des valeurs qu’ils portaient, Murdoc 2016 est une reprise modernisée réussie de Murdoc 1985. Il a le même côté cynique, violent et surtout joueur, la même capacité à surgir où on ne l’attend pas, et il profite lui aussi d’une interprétation soignée par un acteur (l’excellent David Dastmalchian) capable de passer en une seconde de l’épisode maniaque au plus irréprochable sérieux. C’est aussi le seul personnage qui fait une référence directe à la version précédente : c’est le disciple d’un assassin interprété par Michael Des Barres, ce qui laisse penser qu’il a pris ce pseudonyme en hommage à la jeunesse de son mentor.
Donc, on va bien être clair là-dessus une bonne fois pour toutes : à part Murdoc, le titre et le couteau suisse, MacGyver version Lenkov n’a absolument rien à voir avec l’original.
Le point le plus spectaculairement différent, c’est l’aspect bricoleur. Okay, à première vue, Angus passe son temps à démonter des trucs pour assembler des machins, et vous pouvez croire que c’est un élément qui réunit les deux séries à trente ans d’intervalle. Mais non.
Les bricolages des années 80 étaient capillotractés, mais scientifiquement valables. Mac le disait régulièrement : « je sais pas si ça va marcher, mais la théorie est bonne ».
Les bricolages des années 10 sont complètement délirants. On a l’impression qu’il suffit de brancher la puce GSM d’un smartphone sur un oscilloscope pour avoir un radar, sans même avoir besoin de reprogrammer quoi que ce soit. À aucun moment aucun scénariste ne s’est posé la question : « Est-ce qu’il y a une chance que ça marche en vrai ? » — ni même, d’ailleurs, « Est-ce que ce que je raconte n’entre pas totalement en contradiction avec les lois élémentaires de la physique ? »
Donc si vous le voulez bien, on va totalement oublier l’idée que ce MacGyver puisse être un remake de l’autre, et on va juste le juger pour lui-même, sans référence extérieure.
Je disais donc : à ce stade, ça ressemble à beaucoup de séries d’action modernes, une touche Burn notice ici (soit dit en passant, le changement de gros bras dans la saison 3 donne sévèrement l’impression d’être passé de Sam à Fiona), un personnage des Agents du SHIELD là, un truc qui fait penser à Shooter ou à Hawaii Five‑01 ailleurs…
En fait, le gros défaut de cette série est son manque d’originalité. Les personnages, leurs relations, leurs trahisons, leurs situations donnent une sévère impression de déjà-vu. C’est un patchwork de séries à suspense des années 2000, assemblé au duct tape. Les rebondissements sont généralement prévisibles et les dilemmes se résolvent de la manière la plus évidente possible. L’ensemble est calibré, avec sa dose d’humour lourd, sa dose de comique de situation, sa dose d’action débridée, sa dose de suspense, le tout immuablement calculé.
Évidemment, ça tourne comme un coucou suisse. Proprement filmé, efficacement monté, correctement interprété, l’ensemble passe comme une lettre à la Poste. C’est une distraction de qualité qui occupera aisément vos longues soirées d’hiver.
Mais ça n’a aucun véritable caractère, au point qu’on se surprend surtout à apprécier les erreurs d’écriture et les absurdités techniques plus que la trame de l’histoire.