The Tudors

de Michael Hirst, 2007–2010, ****

Henry a un pro­blème. D’un côté, il est marié à la veuve de son frère, Catherine, 45 ans. Mais tous leurs fils sont morts dans les semaines sui­vant leur nais­sance ; il ne lui reste donc qu’une fille, Mary. De l’autre côté, il s’é­prend d’une cour­ti­sane, Anne, bien plus jeune et qui aura donc plus de chances de four­nir un héri­tier mâle. Logiquement, Henry veut donc rompre son mariage avec Catherine, épou­ser Anne et lui faire plein d’en­fants. Mais nous sommes au début du sei­zième siècle, et l’Église apos­to­lique romaine refuse de renier son sacrement.

Oh, rien de reli­gieux là-dedans, ras­su­rez-vous. Faut être pieux et naïf comme Catherine pour pen­ser que le mariage est sacré, juré devant Dieu et incas­sable. Non, l’Église cherche juste à pro­té­ger son influence. D’une part, fille de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle Ire de Castille, Catherine est la tante de Charles Quint. Valider le divorce ou la répu­dia­tion, c’est donc ris­quer de se mettre à dos une famille qui dirige une bonne par­tie de l’Europe, de la pénin­sule ibé­rique à la Bohème en pas­sant par le sud de l’Italie. D’autre part, Anne a gran­di aux Pays-Bas et, sans avoir bas­cu­lé dans le pro­tes­tan­tisme, elle est consi­dé­rée comme sen­sible aux idées réfor­mistes — et per­sonne n’aime moins la Réforme que ceux qui jouissent d’un pou­voir abso­lu par la grâce de Dieu, comme les papes et les archevêques.

Jonathan Rhys-Meyers dans The Tudors
Liste de mes éter­nels amis et alliés indé­fec­tibles (début de sai­son 1) : la France, le Saint-Empire ger­ma­nique, Aragon et Castille, les États pon­ti­fi­caux, l’Écosse. Liste des ignobles cre­vures à qui je vais faire la guerre par la suite : idem. — pho­to Showtime

Cette petite diver­gence d’o­pi­nions entre Henry VIII et les pontes du Vatican va dégé­né­rer en véri­table guerre d’al­liances, avec l’ex­com­mu­ni­ca­tion du roi, sa prise de pou­voir sur la branche locale de l’Église et les pre­mières réformes anglaises (avec quelques décol­la­tions en pas­sant), puis sa quête éper­due de sou­tiens dans toute l’Europe, qui le mène à se brouiller peu à peu avec tous les autres sou­ve­rains du conti­nent pour finir iso­lé et paranoïaque.

Anticipons un peu pour bien sai­sir les enjeux : c’est cette église, tou­jours catho­lique mais désor­mais indé­pen­dante de la mai­son-mère, que la deuxième fille d’Henry, Elizabeth, fini­ra de réfor­mer pour en faire une véri­table église pro­tes­tante. Sur le plan poli­tique, des alliances et échecs d’Henry découlent indi­rec­te­ment la perte des der­nières terres conti­nen­tales de la cou­ronne et le ren­for­ce­ment de l’in­fluence anglaise en Écosse et en Irlande, et donc la France et le Royaume-Uni modernes. Et sa vie per­son­nelle a sans doute ins­pi­ré la légende de Barbe-Bleue.

Tamzin Merchant et Honathan Rhys Meyers dans The Tudors
J’ai deux Catherine et deux Anne… Bon, j’exé­cute celle-là et je pour­rai avoir un full de Catherine par les Anne. — pho­to Showtime

Voici donc The Tudors1, qui conte une ver­sion un peu roman­cée de la vie d’Henry VIII. On ne va pas faire ici la liste des petites tra­hi­sons de l’Histoire, mais déjà, son fils illé­gi­time est mort à 17 ans, pas à… 3 ans. Fallait bien faire pleu­rer dans les chau­mières. Autres points qui feront tous­ser les his­to­riens : les scé­na­ristes ont fusion­né les deux sœurs du roi et retou­ché la chro­no­lo­gie des papes pour sim­pli­fier leur his­toire. Quant au res­pon­sable du cas­ting, il a pris Natalie Dormer, châ­tain clair, yeux bleus et peau dia­phane, pour inter­pré­ter Anne Boleyn, connue pour ses che­veux bruns, ses yeux noirs et sa peau foncée…

Natalie Dormer dans The Tudors
Allez, arrête de râler, je me suis teinte en brune. — pho­to Showtime

Ceci étant, la trame géné­rale est rela­ti­ve­ment fidèle à la réa­li­té, et la série montre une vraie volon­té de pré­sen­ter les enjeux per­son­nels, reli­gieux, éco­no­miques et géo­po­li­tiques de la Grande Affaire et de tout ce qui s’en­suit. L’effort de recons­ti­tu­tion est louable : décors, cos­tumes et acces­soires sont plu­tôt bien choi­sis, même si l’on peut regret­ter le ren­du plu­tôt propre et la pho­to par­fois un peu « glam-rock ». Et si la vie des diri­geants est natu­rel­le­ment au cœur du récit, les ques­tions sociales ne sont pas tota­le­ment mas­quées : par exemple, les pay­sans qui souffrent de condi­tions dif­fi­ciles et de la mise à sac des monas­tères par les réfor­ma­teurs pré-angli­cans sont bien pré­sents, et pas juste pour per­mettre à une courge bour­geoise de se don­ner bonne conscience.

Surtout, l’é­vo­lu­tion d’Henry per­met de récon­ci­lier plu­sieurs visions his­to­riques sou­vent consi­dé­rées comme incom­pa­tibles : était-il un faible sous influence, un poli­ti­cien habile et cal­cu­la­teur, un impul­sif san­guin, un queu­tard invé­té­ré, un amant sin­cère, un homme culti­vé ou une brute épaisse ? Les auteurs naviguent entre ces aspects avec une cer­taine réus­site et par­viennent à rendre leur per­son­nage plu­tôt cohé­rent sans renon­cer à ses ambi­guï­tés historiques.

Sam Neill dans The Tudors
Comment ça, « ton trai­té de Londres, la paix uni­ver­selle en Europe, c’é­tait cool, mais bien plus impor­tant : t’as foi­ré mon divorce » ? — pho­to Showtime

L’ensemble de la série peut avoir un côté un peu théâ­tral, voire ver­beux par moments.  Mais elle est soi­gneu­se­ment réa­li­sée, magis­tra­le­ment inter­pré­tée par d’ex­cel­lents acteurs, et elle par­vient à pré­sen­ter plu­tôt clai­re­ment des intrigues his­to­riques com­plexes. On peut tou­te­fois regret­ter une cer­taine pré­ci­pi­ta­tion dans la der­nière sai­son, qui entasse les trois der­nières femmes d’Henry VIII : je ne serais pas sur­pris que les auteurs aient pen­sé avoir une année de plus pour bou­cler leur histoire…

Finalement, le plus dis­cu­table est le titre : la série devrait plu­tôt s’ap­pe­ler Henry VIII, les autres Tudor étant soit pas­sés sous silence (Henry VII), soit fusion­nées (Margaret et Mary), soit pré­sen­tés enfants sans qu’on aille jus­qu’à leur règne (Edward, Mary et Elizabeth ; ces deux der­nières sont pour­tant fon­da­men­tales dans l’é­vo­lu­tion de l’an­gli­ca­nisme, qui est au cœur de l’intrigue).

Intéressante pour les ama­teurs de recons­ti­tu­tions his­to­riques, de drames et de géo­po­li­tique, The Tudors peut éga­le­ment atti­rer les simples curieux qui appré­cient les intrigues amou­reuses et les per­son­nages ambi­gus. À vous, donc, de prendre le niveau de lec­ture qui vous convient.

  1. Diffusée en France sous le titre « Les Tudors », non­obs­tant le fait que les noms propres sont inva­riables en fran­çais et qu’elle aurait donc dû s’ap­pe­ler « Les Tudor ». Le Comité anti-tra­duc­tions foi­reuses a donc déci­dé gar­der le titre original.