Firefox, l’arme absolue
|de Clint Eastwood, 1982, *
En 1970, l’armée de l’air soviétique mettait en service le MiG-25, un intercepteur capable de faire des pointes au-delà de Mach 3. Le 6 septembre 1976, Viktor Belenko fuyait l’URSS et posait son appareil au Japon. Au cours de son interrogatoire, il annonçait aux Américains l’arrivée d’un modèle amélioré, biplace et plus performant. Les technologies furtives étant à la mode et la CIA ayant eu vent d’un nouveau MiG-31, le romancier Craig Thomas assembla tout ça pour écrire Firefox, un techno-thriller publié en 1977. Dans celui-ci, Gant, un ancien pilote de l’USAF traumatisé par sa captivité au Vietnam, doit voler le prototype du MiG-31, un chasseur capable de dépasser Mach 5, furtif, et dont le système d’armes fonctionne par la pensée — autant de caractéristiques que le véritable MiG-31 n’a jamais eues.
Quelques années plus tard, Clint Eastwood produit, réalise et joue le premier rôle de l’adaptation cinématographique. Il reprend fidèlement les éléments du bouquin, et son décorateur dessine un appareil mélangeant des traits de Blackbird et de Valkyrie, en plus anguleux parce que bon les Soviétiques ils dessinent à la serpe tout le monde le sait.
Bon, déjà, c’est un problème. Parce qu’en cinq ans, le monde occidental a une idée bien plus précise de ce qu’est le MiG-31 — une déclinaison multitâche du MiG-25 plutôt qu’un appareil révolutionnaire. C’est l’époque où les auteurs de fiction abandonnent cette désignation au profit de MiG-37, qui a l’avantage de ne pas exister et donc de permettre de faire ce qu’on veut. Conserver ce nom est donc un beau message aux amateurs d’aviation : « on n’en a rien à foutre ».
Mais ce n’est pas le seul problème. Il y a des choses qui passent dans un roman de gare d’auteur débutant ou dans Tintin au pays des soviets, mais qu’il est plus difficile d’accepter du huitième film d’une star quinquagénaire.
Par exemple, tous les rebondissements du début, qu’un critique américain a résumés en : « James Bond sans les filles ». J’ajouterai que tous les agents de sécurité soviétiques sont des crétins extrêmement faciles à berner, et que tous les scientifiques russes sont prêts à se sacrifier pour que le héros arrive jusqu’à son avion. Du coup, c’est James Bond sans les filles et sans le suspense.
Autre exemple : les flashs-back façon Voyage au bout de l’enfer. C’était un peu lourd dans le Cimino, mais c’était un outil majeur de la tension de son pamphlet sur les séquelles psychologiques de la guerre du Vietnam. Ici, dans ce qui reste fondamentalement un techno-thriller, ça tombe totalement à plat : plutôt que d’approfondir le personnage et nourrir le suspense, ça sert surtout à casser complètement le rythme.
Enfin, quand je dis le rythme… Vous connaissez le concept du film qui devrait durer 1 h 40, mais qui dure 2 h 16 ? C’est celui-ci. Les innombrables rebondissements et péripéties de la première partie sont juste là pour retarder le moment où Gant touchera enfin le MiG-31. Note aux auteurs : l’attente nourrit le suspense lorsqu’il existe. Il ne suffit pas de faire languir pour le créer…
La seconde partie, lorsqu’enfin on s’envole, ne vaut guère mieux. Il ne reste plus que deux péripéties : trouver le ravitaillement et éliminer l’autre chasseur. Mais ça dure une demi-heure. Du coup, le monteur a intercalé de très longs plans où une maquette passe au-dessus des nuages ou au ras de l’eau. Ça nous vaut une belle photo de vol en très basse altitude où le souffle du MiG-31 soulève l’écume, largement compensée par dix bonnes minutes d’ennui, un atterrissage sur la glace aussi subtil qu’un passage d’Airport 80 et le dogfight de maquettes le plus ridicule de l’Histoire du cinéma.
Ça n’est même pas tout à fait un navet, qui pourrait devenir super drôle au second degré. Non, c’est mou, mais pas assez pour devenir un chef-d’œuvre de montage raté ; stupide, mais pas assez pour entrer dans les annales du film politique bêta ; nul, mais pas assez pour mériter le label « Troll ».