Deux moi
|de Cédric Klapisch, 2018, ****
Tournant le dos à Montmartre, son petit appartement a vue sur les rails de la gare du Nord et sur les Orgues. Il bosse dans un entrepôt, mais la robotisation de la manutention l’envoie dans l’open space du centre d’appels téléphoniques. Il n’a pas passé une soirée avec une fille depuis des lustres et ne sait plus comment réagir quand sa voisine de bureau semble lui faire du rentre-dedans.
Tournant le dos à Montmartre, son petit appartement a vue sur les rails de la gare du Nord et sur les Orgues. Elle bosse dans un labo pharmaceutique, et comme la mode pousse à mettre en avant les jeunes femmes, elle se voit chargée de présenter le prochain produit — sans filet. Elle traîne sur les applis de rencontres et passe plus de soirées entre copines qu’avec ces mecs sans intérêt.
Entre eux, un seul mur. Un mur à travers lequel il peut l’entendre chanter, un mur autour duquel elle récupère le chat qu’il cherche, un mur sous lequel ils font leurs courses dans la même épicerie, un mur au pied duquel ils ont mille occasions de se rencontrer. Sauf que dans une ville de deux millions d’habitants, on ne se rencontre pas, on se croise.
Alors voilà. Klapisch sait créer des personnages, il sait raconter des histoires, il sait décrocher un sourire au milieu du chaos.
Mais, surtout, il sait saisir une époque. Montrer ceux qui luttent au quotidien, qui font tout bien comme on a dit, qui recueillent les animaux errants, qui ne font pas chier leur prochain, qui se lèvent tous les matins pour aller bosser, qui suivent les règles souvent bizarres de ce monde absurde, et qui sont récompensés par la pression, le stress, l’angoisse, le deuil et la solitude.
Comme la vraie vie, les films de Klapisch peuvent paraître pauvres. C’est l’économie de moyens, vous savez : une poignée d’acteurs, une ou deux caméras, une photo soignée sans en faire des tonnes, des décors réels, tout au plus penser à demander à la mairie du 18e de prêter un camion de pompiers pour faire l’arrière-plan d’une séquence…
Et comme la vraie vie, les films de Klapisch sont plus complexes qu’il n’y paraît : une façade semblant lisse cache des facettes subtilement éclatées, les gens solides peuvent s’effondrer s’ils croisent le déclencheur adéquat, et l’univers passe son temps à glisser des petites surprises çà et là, sous les pieds de ceux qui croient savoir où ils vont.
Si on rit parfois, soyons clair : c’est un mélo. Un vrai, triste et touchant d’un bout à l’autre, porté par des acteurs sobres et naturels ainsi qu’un omniprésent tragique de situation. C’est un film limpide sur une ère incompréhensible : ça ne met pas forcément de bonne humeur. Mais on s’y prend, à suivre les glorieux échecs de ces deux paumés pour mieux oublier les nôtres.
Un petit reproche, peut-être ? Oui, un : la dernière séquence aurait sans doute gagné à être légèrement différente. Un petit rien, un dernier petit caillou dans la chaussure, un dernier chausse-trape glissé en douce, juste pour garder jusqu’au bout cette tonalité nostalgique, vaguement désespérée, qui fait toute la force du film.
Mais on peut aussi comprendre le choix final de Cédric, celui de dire au spectateur « non, t’es pas seul », de lui tendre une vague lueur d’espoir pour qu’il avance encore un peu.