Once upon a time in… Hollywood
|de Quentin Tarantino, 2019, ****
Vous connaissez Quentin ?
Quentin est névrosé. Un grand névrosé. Quand il voit un acteur, il remue l’arrière-train comme votre labrador lorsque vous rentrez chez vous après deux jours d’absence. Quand il voit une actrice, pareil. Quand il voit un cascadeur, idem. Quand il voit un réalisateur ou un scénariste, de même.1 Quand il voit une maquilleuse, une costumière, un cadreur, un décorateur, ou même un obscur photographe de plateau, on ne le tient plus : il faut qu’il aille donner des coups de langue baveux à tout le monde.
Quentin est amoureux de tous ceux qui ont un jour mis un pied sur un plateau de cinéma, et peut-être même de tous ceux qui ont pensé y mettre un jour un pied. Et si, par hasard, vous avez réglé des combats de karaté dans un western italo-espagnol vers 1965, gardez sur vous un spray au poivre au cas où vous rencontreriez Quentin : vous aurez du mal à vous en défaire.
Depuis tout petit, Quentin fait tout ce qu’il peut pour montrer cet amour. Il fait des films et, comme l’adage dit que l’imitation est le plus sincère des hommages, ses films sont des imitations — enfin, plutôt, des recyclages : il prend les ingrédients de ses maîtres adorés et les arrange à sa sauce, et il embauche les héritiers spirituels de ses acteurs préférés pour leur demander de jouer comme leurs aînés des personnages que ceux-ci auraient pu interpréter. Quentin prolonge ainsi l’éternel cycle de références qui, si l’on s’en donne la peine, ramène tous les films à Scènes de la ruée vers l’or au Klondike si ce n’est au Salut de Dickson ; mais chez Quentin, les réminiscences sont volontaires, explicites, comme autant de clins d’œil et de coups de langue sur le nez de ses cinéastes favoris.
Les films de Quentin peuvent donc rappeler ceux de Godard et Giovanni, de Spielberg et Sturges, de Ford et Hughes, de Hopper et Nelson, de Woo-Ping et Kurosawa, et bien sûr de Leone et Corbucci… entre autres. Derrière les coups de sabre, il glisse des mots doucereux à tous ceux qui faisaient des films d’arts martiaux ; sous les coups de matraque, aux pères de La grande évasion et des Grandes gueules ; sous les coups de langue, à ceux des comédies musicales à l’eau de rose ; sous les coups de roue, aux auteurs des grands road-movies classiques ; sous les coups de revolver, aux géniteurs de tous les westerns du monde…
Il restait à Quentin à faire un film sans faux-semblants, un où il ne se masquerait pas derrière une pseudo-histoire et se contenterait de dire ouvertement aux gens de cinéma : « je vous aime ».
C’est le rôle de Il était une fois à Hollywood.
Pardon ?
Ah oui, excusez-moi. Je disais : c’est le rôle de Once upon a time in… Hollywood.
Parce que si Quentin a beaucoup de qualités, il a un gros défaut : il ne sait pas s’entourer. Du coup, il a des distributeurs français qui n’ont pas saisi la référence du titre. Elle est pourtant énorme : pour les amateurs américains de cinéma, Once upon a time est le titre général d’une grande trilogie de Sergio Leone — Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois la révolution et Il était une fois en Amérique.
Le choix d’un tel titre pour un film qui se déroule dans les milieux du cinéma américain et italien à la fin des années soixante n’est certainement pas un hasard. Surtout qu’il y a déjà quelques années que les critiques ont remarqué chez Tarantino une légère tendance à, comment dire, parfois, en passant, à l’occasion, rendre hommage à Sergio Leone. Genre d’un bout à l’autre de chaque plan de chaque séquence de chaque film de sa carrière, hein, en fait. Si Quentin pioche chez tous les cuistots, les recettes du bon tonton Sergio sont clairement celles qu’il aime le plus assaisonner, celles qu’il sert le plus volontiers à ses invités, bref, celles avec lesquelles il se régale sans jamais s’en lasser.
Donc, le titre français devrait être Il était une fois à Hollywood, afin de conserver la très visible et très volontaire affiliation avec la trilogie leonaise. Nos cousins d’outre-Atlantique, du reste, ne s’y sont pas trompés : c’est exactement ainsi que le film s’appelle dans leurs salles, de Montréal à Amos en passant par Dolbeau-Mistassini. La distribution française a gardé le titre anglais pour je ne sais quelle raison, mais ce faisant, elle crache à la gueule du cinéma, ce qui est non seulement stupide, mais aussi une injure à l’œuvre de Quentin lui-même.
Bon, la place risque de manquer et les dictionnaires n’ont pas assez d’insultes pour détailler ma pensée sur Sony Pictures Releasing France. Je vais donc me borner à dire que, quel que soit le châtiment auquel vous pensez, il est trop doux pour ces connards incultes, avant de revenir à mes moutons.
Je disais donc : dire ouvertement aux gens de cinéma : « je vous aime », tel est le rôle de Once upon a time in… Hollywood.
L’histoire est simple : nous sommes en 1969. Rick Dalton, acteur, a depuis quelques années laissé tomber la série western qui l’a fait connaître pour se lancer au cinéma. Las, le western est boudé par le public américain, et sa carrière a périclité. Il a noyé sa déception dans l’alcool, ce qui n’améliore pas ses qualités d’acteur et lui a coûté son permis de conduire. Enfermé dans les rôles de méchant, il vivote donc en se faisant transporter par Cliff Booth, cascadeur avec qui il est devenu ami. Un peu réac sur les bords, Rick observe les hippies et les jeunes avec mépris ; s’y mêle parfois une pointe de jalousie, lorsque, à côté de chez lui, il voit s’installer cet immigré polack à la mode qui a pondu le très surfait Rosemary’s baby. Il accorde les mêmes sentiments aux westerns-spaghettis, ce sous-cinéma immoral qui remplit les salles, et reçoit avec méfiance une proposition d’aller tourner en Europe avec Sergio Corbucci, qui serait « le deuxième meilleur réalisateur italien ».
Voilà, c’est tout. Et mine de rien, Tarantino nous fait, dans la mise en place de son film, la version américaine de Mon nom est Personne : un personnage plus tout jeune se retourne sur sa gloire passée et prend de haut les petits nouveaux qui brisent les codes et attirent les foules, comme le western américain a méprisé l’arrivée du spaghetti. Et, sans vouloir trop vous dévoiler la suite de l’intrigue, les petits nouveaux incontrôlables, immoraux et violents vont le pousser à se faire plus mûr, plus violent, plus direct, mais aussi à redevenir un vrai héros. Vous voyez le parallèle : au risque de me répéter, sans le grand coup de pied au cul des Leone, Corbucci et autres Valerii, le western américain n’aurait jamais pu nous donner des chefs-d’œuvre tels que Le soldat bleu, La horde sauvage, Impitoyable et consorts.
Et à son habitude, Quentin joue avec les codes et le spectateur. Il oscille entre le thriller (quand Cliff arrive au ranch), le film d’arts martiaux (avec un portrait de Bruce Lee qui n’a pas fini de faire parler), la comédie romantique (la rencontre avec Pussycat), le film noir (quand on évoque le passé de Cliff), l’anticipation trash kubrickienne (quand les jeunes débarquent) et bien sûr le western (on ne tourne que ça). Régulièrement, il relance son film à contre-pied en remisant certains éléments pour en révéler d’autres. Et comme d’habitude, il n’hésite pas à faire dans l’humour noir : par exemple, railler l’affaire Polanski (« Un jour, le Polack fera une connerie, et Jay sera là pour récupérer Sharon ») un an après avoir été éclaboussé par l’affaire Weinstein, il fallait oser.
Après, il y a plein de choses dont je peux difficilement vous parler. Parce que 69, à Hollywood, et plus précisément chez Polanski, a été une année pour le moins particulière. Et ça infuse le film. Très rapidement, une ombre plane sur l’ambiance tragi-comique : des clins d’œil à la vraie Histoire se glissent dans le déroulé de l’histoire, d’abord discrètement, puis de plus en plus explicitement en annonçant un finale tragique (depuis le temps, vous n’espériez plus un happy end chez Quentin, si ?).
Je vais finir en notant la reconstitution historique, puisque le film est très précisément placé en 1969. Excellente pour les automobiles, soignée pour les paysages urbains et les vêtements, elle rappellera plein de choses à ceux qui ont aimé Woodstock et autres films sur l’époque. Elle a tout de même un défaut : le 747 a bien volé cette année-là, mais il n’est entré en service que début 1970. Pire, sur quelques plans, c’est un 747 SP que l’on voit, version que l’on qualifiera gentiment de « reconnaissable » et qui n’est apparue que six ans plus tard.
L’ensemble est un très grand Tarantino, foutraque quoique maîtrisé d’un bout à l’autre, qui raconte le cinéma tout en exprimant l’amour que Quentin lui voue, qui parle des acteurs et des cascadeurs avec une profonde affection juste légèrement mâtinée de cynisme, et qui en même temps plonge dans l’Histoire de la libération des mœurs et des tragédies du moment. Ceux qui apprécient son style trash et sa violence resteront un temps sur leur faim, mais ceux qui partagent son goût pour le cinéma — tout le cinéma, des années 20 aux années 2020, du western noir à la comédie romantique — et sa tendresse pour les grands acteurs seront aux anges d’un bout à l’autre.