Happy !
|de Grant Morrison et Darick Robertson, 2017, ****
C’est l’histoire d’un ancien flic, blasé, alcoolique et violent, devenu tueur à gages. Il claudique d’un contrat à l’autre, d’un verre à l’autre, d’une pilule à l’autre, dans les bas-fonds d’une ville sale et suintante en attendant qu’une crise cardiaque vienne l’achever.
Si, au départ, Nick Sax rappelle le Hartigan de Sin city, quelque chose me dit que c’est volontaire. Mais ça ne dure pas. Parce que Nick, lui, pendant que son cœur le lâche, il ne ressasse pas l’image d’une jeune innocente à sauver. Non. Il voit Happy, une licorne volante bleue — le genre d’animal horripilant qui parle, parle, parle encore et encore. Son premier réflexe, naturellement, c’est de se dire que Happy est une illusion causée par le manque d’oxygène, l’excès d’alcool et les médicaments que les ambulanciers viennent de lui filer. Mais lorsque sa saturation remonte, que son alcoolémie diminue et que les drogues s’évanouissent, Happy est toujours là. Plus dingue encore, entre deux insupportables logorrhées, Happy donne des informations utiles que Nick ne peut pas connaître.
Bref, pas de doute : Happy existe. Et quand il dit que sa maîtresse a été kidnappée par le père Noël et que Nick doit la sauver, ça doit donc aussi être vrai.
Happy !, c’est donc l’histoire d’un personnage de Sin city, dans l’univers de Sin city, qui se fait mener par l’âne de Shrek sur les traces du père Noël.
Autant vous l’avouer : c’est pas toujours extrêmement réaliste.
Mais ça n’est pas pour autant seulement drôle ou loufoque. C’est aussi authentiquement tragique, glauque et triste, par exemple quand ça évoque les troubles mentaux et leur (absence de) prise en charge ou les travers de la société « m’as-tu vu » moderne. C’est la rencontre brutale entre le burlesque et le trash, où des passages de slasher sanguinolent alternent avec des gags dignes d’un enfant de quatre ans. C’est un grand écart permanent, instable, brut, entre l’extrêmement violent et l’extrêmement mignon, avec même quelques scènes d’extrêmement ordinaire.
Les acteurs eux-mêmes passent d’un état à l’autre avec un naturel étonnant : en pleine tragédie réaliste une minute, en plein cabotinage parodique à la suivante. De même pour la réalisation qui peut passer d’une scène de torture en sous-sol digne des films noirs les plus sombres à une thérapie de groupe réunissant une licorne volante bleue, une chaussette verte qui parle, un bonhomme de brindilles et un chien à trois têtes.
En somme, c’est du n’importe quoi, mais pas que du n’importe quoi drôle. Du n’importe quoi tragique, épique, psychologique aussi. Et surtout, du n’importe quoi parfaitement maîtrisé, lourd mais tout en finesse, subtilement bourrin.
Bref, si vous avez l’esprit câblé pour apprécier à la fois Sin city, Dernier domicile connu, Kill Bill, Shrek, L’âge de glace et Dirk Gently, détective holistique, et bien, j’ai pas de psychiatre à vous recommander, mais en matière de série télé, celle-ci pourrait vous plaire.