Skins (1e génération)
|de Jamie Brittain et Bryan Elsley, 2007–2008, ****
Les adolescents, vous connaissez ?
Ces êtres mous qui semblent à moitié endormis la moitié de la journée mais s’avèrent infatigables après la fin des cours, qui sont convaincus d’être quasiment adultes mais n’arrivent pas à gérer leur argent de poche, qui vous crachent à la gueule du matin au soir mais sont incapables de prendre leur petit-déjeuner sans vous, qui veulent donner des leçons à leurs professeurs sans parvenir à en retenir une seule ?
Et bien pendant que vous, naïvement, pensez qu’ils révisent leur bac ou se détendent entre amis, ils sont occupés à baiser comme des lapins, à s’injecter et à avaler tout ce qui traîne, à tester leurs pouvoirs de séduction et de manipulation, à briser les cœurs de leurs amis et les nez de leurs ennemis, à flipper parce qu’ils n’ont personne à baiser, à flipper parce qu’ils n’ont rien à fumer, à flipper parce qu’ils sont nuls en manipulation, à flipper parce que leur cœur est en lambeaux et leur nez en sang, ou tout simplement à flipper parce qu’ils flippent.

Skins plonge pendant deux ans dans le quotidien d’un groupe de lycéens. Tony, connard brillant et égocentrique, beau gosse manipulateur, sort avec Michelle, jolie fille apprêtée et intelligente, et traîne avec Sid, indéfectible ami fidèle, introverti à bonnet. Cassie, anorexique en rémission qui tente de cacher son instabilité, squatte chez Chris, bourrin et junkie accompli qui drague sa prof de psychologie. Quant à Anwar, bon fils d’une famille musulmane pratiquante, il cherche l’équilibre entre l’alcool et la prière tout en évitant de dire à son père que son meilleur pote, Maxxie, danseur de claquettes, est pédé comme un foc.
Vous dites ? Des clichés ?
Je vois vraiment pas où.

Mais si les fondements ressemblent à de la sitcom adolescente niaise, la forme et la logique font de Skins l’exact contraire de Premiers baisers. Skins va au fond des choses : les sentiments n’y sont pas un idéal à atteindre en franchissant des obstacles, mais une obsession impérative qui pousse aux pires conneries ; les maladies et les accidents ne mènent pas à une scène d’hôpital un peu moralisatrice, mais au cimetière ; les découvertes ne sont pas des prudes bisous ou la bière de trop qui fait dire des bêtises, mais des relations malsaines et des gueules de bois pleines d’odeurs de vomi et de promesses d’IVG.
Et puis, les producteurs ont fait un choix osé : pour jouer des gamins qui se dopent, s’envoient en l’air, se font tabasser ou se mettent des pains, et qui vont même parfois jusqu’à suivre une journée de cours et préparer leurs examens, ils ont pris des acteurs de 17 ans. Ça change des adultes à qui on demande de jouer des enfants (oui, James Van Der Beek, on pense à toi, mais pas seulement), ça donne un vrai naturel et ça aide à rendre les personnages crédibles, même lorsque le scénario part complètement en couille.
Et soyons honnêtes : partir en couille, c’est ce que le scénario fait le mieux. Un voyage scolaire en Russie, une petite sœur prise en otage par un psychopathe, une fan prête à tuer son acteur préféré, une comédie musicale sur le 11 septembre 2001… Tout est permis.
Religions et conventions se font démonter de manière remarquablement systématique, le monde des adultes étant invariablement triste, pesant et mortifère — celui des ados ne vaut guère mieux mais au moins, on s’y amuse, entre deux crises d’angoisse, je veux dire.

Parfois très touchant, parfois très brutal, parfois très drôle, souvent très cynique, Skins n’est pas une réussite totale, évidemment. Certains passages sont vraiment trop caricaturaux, certains retournements sont artificiels en diable, et je reste personnellement convaincu qu’on y aurait tous gagné si le personnage qui rencontre un bus était resté dessous.
Ça n’empêche : une série sur les ados qui ne prend pas de gants, ni pour parler des ados, ni pour parler de leurs parents, c’est pas mal, en fait. Et dans ce grand bordel qui se permet tout et n’importe quoi, il y a quelques répliques magiques, quelques scènes formidables (aux deux sens du terme) qu’il faut vraiment avoir vues.