Terre de marées
|de Stephen M. Irwin et Leigh McGrath, depuis 2018, *
Les pêcheurs, ces êtres étranges. Ils se plaignent de leur travail difficile qui ne permet pas de gagner leur croûte, mais ils roulent en Ford Ranger dernier modèle. Ils disent aspirer à une vie paisible en famille, mais ils passent leur temps à fricoter avec les membres d’une secte, les flics corrompus et les dealers, et s’installent à Orphelin Bay la bien-nommée. Ils se marient et se reproduisent au sol mais, sitôt fait, ils filent en mer pendant des jours ou des semaines et, de temps en temps, disparaissent purement et simplement parce qu’ils ont entendu un chant féminin au large.
Calliope est la fille et la sœur de pêcheurs. Elle sort de dix ans d’enfermement après avoir déclenché un incendie mortel. Et comme elle n’est ni plus logique, ni plus intelligente que les autres, elle retourne à Orphelin Bay et réclame l’héritage de son père pêcheur à son frère pêcheur. Ce qui, évidemment, agace un peu la secte, les flics et les dealers, qui finissent par la jeter à l’eau avec une chaîne de marine autour des pieds.
Rassurez-vous, c’est pas fini, il reste sept épisodes après ça.
Sur le papier, voilà un polar fantastique, avec des pêcheurs, des dealers, des flics corrompus, une secte et des demi-sirènes. Non, je vous vois venir, petits coquins, une demi-sirène, c’est pas un quart poisson et trois quarts femme, c’est les enfants que les sirènes ont eus après avoir fauté avec les marins disparus.
Ça pourrait donc faire une série sympa, haletante, avec des enjeux (im)moraux, une quête tragique, tout ça.
Mais entre le papier et la réalité, il y a un petit mur.
Il y a d’abord un vrai problème d’écriture, avec des personnages très stéréotypés. Ai-je dit qu’il y avait des pêcheurs, une secte, des dealers et des flics corrompus ? Ben prenez le modèle de pêcheur le plus standard et basique que vous puissiez imaginer, un homme libre qui chérit la mer, un peu rude, musclé et hâlé ; le modèle standard de secte, avec une gourou fascinante, belle et charismatique qui a une notion extrême de la punition ; le modèle standard de dealer, balkanique avec accent, cynique et violent mais qui parle bien ; deux modèles standards de flic corrompu, un chef de service sans états d’âme et un jeunot encore très porté sur la loi et l’ordre. Ajoutez le modèle standard d’héroïne, avec un lourd passé et plein de secrets à découvrir, qui fourre son nez partout et n’écoute personne… Secouez bien, servez chaud.
Ça fout un peu en l’air tout ce qu’on pourrait espérer. Comment faire un thriller haletant quand tous les personnages réagissent de manière parfaitement prévisible ? Comment mener une quête fantastique quand on présente directement sa conclusion ? Comment faire aimer ses personnages quand on oublie de leur faire poser la moindre vraie question, même et surtout quand on parle de leurs origines ?
Alors bon, du coup, les scénaristes ont fait ce que font les scénaristes dans ce cas-là : ils ont retiré des vêtements. Mais là où ceux de Glitch avaient fait ça en douceur, avec logique, sans exhibition artificielle, ceux de Terre de marées se sont un peu pris les pieds dans le tapis, passant de « oh tiens elle va ouvrir la porte en soutif ça sera joli » à « bon, ils viennent de s’envoyer en l’air mais elle va se rhabiller de dos et elle a gardé sa culotte » — des atermoiements vestimentaires absurdes en fonction, j’imagine, du coût de la prime « nudité » négociée par chaque actrice. (Les acteurs, eux, sont globalement torse nu une scène sur deux : je pense qu’ils n’avaient pas pensé à négocier une prime.)
Le souci, c’est qu’en conséquence, le budget manquait pour faire plusieurs prises. Et que beaucoup d’acteurs ont du mal à tout faire parfaitement du premier coup. La finesse du casting fait donc souvent penser à un téléfilm érotique low cost avec, plus qu’un réel manque de talent, un manque de direction, de cadrage, de contrôle. Certains peuvent être très bien sur une scène et cabotiner à la suivante, d’autres alternent mimique impeccable et intonation à contre-emploi, les derniers sont médiocres d’un bout à l’autre. Elsa Pataky en particulier n’avait plus été aussi mauvaise depuis Des serpents dans l’avion (enfin je crois, je dois avouer qu’à part ça je ne l’ai vue que dans des Fast and furious), ce qui est quand même gênant vu qu’elle joue la méchante n°1.
Oh, et puisque j’en suis à médire du casting, c’est sans doute le moment de parler de Calliope jeune, qu’on voit à plusieurs reprises dans des flash-back. L’actrice choisie à cet effet a les yeux bleus, et c’est à peu près son seul point commun avec l’actrice principale. Ado, Calliope est donc fine, avec une mâchoire étroite au menton simple, une ligne de sourcils plate, un nez droit et deux taches de rousseur caractéristiques, de part et d’autre du larynx. Adulte, elle est charpentée, avec une mâchoire large au menton légèrement dédoublé, une ligne de sourcils arrondie, un nez creux et deux taches de rousseur caractéristiques, sous la lèvre et sur le menton. Prenez Jake Gyllenhaal pour jouer un Clint Eastwood jeune, ça sera plus crédible.
Bref, le seul bon point du casting, c’est que Charlotte Best a l’air à l’aise avec un canot hors-bord : elle le manipule sans hésiter avec un certain naturel — ça change de ces films de marins où les acteurs ont l’air de n’avoir jamais vu un bateau.
À ce stade, vous serez pas surpris que la réalisation soit aussi plan-plan que le reste et que le résultat soit pas terrible. Mais pas mauvais au point d’être drôle, non, juste pas terrible. C’est du niveau de ce qui passait sur France 2 le mercredi après-midi quand j’avais quatorze ans, en fait.
Le problème, c’est que Giga n’existe plus, que je n’ai plus quatorze ans, et que même les séries pour ados ont un peu évolué ces vingt dernières années.