L’ange
|de Luis Ortega, 2018, ****
Carlitos est un adolescent normal : un père employé chez General Motors, une mère d’origine allemande aimante et cultivée, une situation simple mais confortable, une scolarité sans histoire, des loisirs et des amitiés. Il est bien élevé, propre, élégant, intelligent, poli, et beau comme un ange. Il a juste un léger travers : il vole. Pas par nécessité bien sûr, mais pour le plaisir. Et quand il rencontre une famille de petits voleurs, il étend son activité, passe à la vitesse supérieure et commence de temps en temps à tuer les gens qu’il vole.
L’ange, c’est pas juste le titre du film. C’est l’élément commun des « unes » de la presse argentine en février 1972, lorsqu’elle présente les crimes du fraîchement arrêté Carlos Robledo Puch, « l’ange noir », « l’ange de la mort », « l’ange exterminateur », encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands sociopathes d’Argentine — et qui est actuellement l’homme le plus longuement emprisonné du pays.
Luis Ortega a choisi d’en jouer, magnifiant jusqu’à l’érotisme l’image de l’ange imberbe aux boucles dorées d’un bout à l’autre de son film, pour mieux faire ressortir la psychologie criminelle de son personnage. Ainsi, d’emblée, Carlitos n’est pas humain, pour le meilleur comme pour le pire.
À mon humble avis, c’est la principale faiblesse du film : difficile de s’identifier ou même de s’intéresser à un personnage totalement lisse, au-dessus de la masse des nous-autres, dont le destin ne peut rien avoir de commun avec les nôtres. Les seconds rôles sont plus accessibles, mais aussi beaucoup plus effacés, et on peine un peu à s’impliquer en tant que spectateur.
Cette faiblesse est heureusement compensée par une construction soignée, une progression implacable parfaitement rythmée, de l’ennui distrait par un petit vol ou le baiser d’une lycéenne à la bouffée extatique d’abattre un garde armé ou de jeter sa voiture sur celle d’en face. Et, surtout, le réalisateur parvient à faire naître une certaine forme de fascination pour l’animal à sang froid qui sert de héros, au fur et à mesure que même les complices s’avèrent subjugués par son absence totale d’inhibitions, d’empathie et de remords.
Beau, entraînant, glaçant, comique même parfois, L’ange est un peu trop éloigné de l’humanité pour vraiment parvenir à lui parler, mais il est difficile de détourner le regard de l’écran. C’est peut-être, finalement, sa plus grande réussite : arriver à saisir le spectateur sans même essayer de le faire adhérer.