L’empereur de Paris
|de Jean-François Richet, 2018, ***
Adolescent sous la Révolution, il vole ses parents, puis le reste du monde. À 21 ans, condamné au bagne de Brest, il tente deux évasions en chemin, avant de réussir à se faire la malle. De nouveau arrêté et envoyé à 24 ans au bagne de Toulon, il s’évade encore, puis parvient à rester discret pendant une dizaine d’années. À nouveau arrêté, il devient à 35 ans indic pour l’Empire : mouton dans les prisons parisiennes pendant deux ans, il rejoint ensuite une force officieuse de malfrats plus ou moins repentis, chargés d’arrêter leurs anciens collègues. Son efficacité lui vaut la grâce sous Louis XVIII, qui en fait le premier flic de France. Il démissionne sous Charles X, revient brièvement sous Louis-Philippe, puis se reconvertit comme détective privé, avant d’être à nouveau arrêté puis acquitté. À la naissance de la Deuxième République, il refait un petit tour en prison comme mouton, avant d’escroquer des jeunettes en quête d’héritage et de finalement mourir à 81 ans — un âge avancé pour un citoyen ayant visité toutes les prisons de France et de Navarre, chassé tour à tour par les flics et par la pègre, et ruiné à plusieurs reprises.
Avec un tel historique, on ne s’étonne pas qu’Eugène-François Vidocq ait inspiré bien des romanciers. Avec lui, on peut parler de malfrats et de rédemption, de flics ripoux, de politiciens corrompus, d’évasions audacieuses ; on peut traiter la Révolution, l’Empire, la Restauration ou la Deuxième République ; on peut se placer dans les bas-fond d’Arras, au bagne de Brest ou dans les couloirs de Versailles…
Le choix d’Éric Besnard, c’est de s’intéresser à la période impériale de Vidocq, de 1809 à 1815 environ, lorsque le bagnard devient flic. Il y a de quoi faire, mais ça n’empêche pas le scénario de chercher à faire monter artificiellement la sauce : Pasquier, le préfet qui retourna Vidocq, élégant quadragénaire dont la vie mérite elle-même trois romans, est remplacé par un « M. Henry » septuagénaire sous l’influence d’une caricature de courtisane. On intègre un Fouché certes bien campé par un Luchini en forme, mais totalement anachronique : tombé en disgrâce en 1810, il perd son rôle de ministre de la police précisément à la période où le film se déroule. On ajoute un premier rôle féminin/enjeu romantique dont la seule raison d’être est de motiver le personnage principal, et un inévitable comparse devenu ennemi, sûrement parce que le vrai Vidocq n’avait pas suffisamment d’adversaires.
Oh, et bien sûr, on prend Vincent Cassel pour jouer le premier rôle, parce que ça serait ballot d’embaucher un acteur de 35 ans pour jouer un héros trentenaire. D’ailleurs, c’est l’ensemble des personnages historiques qui est vieilli d’une vingtaine d’années — voilà au moins un film qu’on n’accusera pas de jeunisme.
Ajoutons un truc éminemment troublant : tout le monde est bonapartiste. Napoléon, ce grand homme, semble avoir sauvé la France de l’anarchie ; pas un mot n’est dit de ses opérations politico-militaires en cours, comme si la campagne de Russie n’avait eu aucun impact sur la vie française, et tout le monde soutient sans faille l’empereur.
Bref, en fait, sous prétexte de narrer la vie de Vidocq, Besnard a raconté ce qu’il avait envie d’écrire, placé les personnages qu’il avait envie d’utiliser, intégré les messages qu’il avait envie de faire passer, et pis l’Histoire, boaf, quelle importance ?
C’est d’autant plus con que certains aspects sont assez correctement rendus. Le fouillis de Paris, pas encore organisée par les travaux d’Haussmann, la pauvreté et l’insécurité des petites gens, les cours d’eau à ciel ouvert à peine moins sales que le pavé des rues… Bon, ça reste soft sur le plan hygiénique : on a l’impression que les égouts fonctionnent quand même à peu près, alors qu’ils ne furent sérieusement étudiés, nettoyés et développés qu’après l’épidémie de choléra de 1832. Mais sur le plan géographique et esthétique, la reconstitution est plutôt sympathique. On notera aussi le passage sur le ponton, qui n’a rien à voir avec l’histoire de Vidocq mais qui a un petit côté Les passagers du vent tome 2 fort appréciable.
Les acteurs font évidemment leur taf, Cassel parvenant à faire passer certains dialogues un peu pompeux et Luchini évitant de trop faire du Luchini, l’équipe technique fournit un travail propre et maîtrisé, bref, rien à redire.
Rien à redire, sauf, vous l’aurez compris, le scénario. Ses libertés historiques ne parviennent pas à vraiment faire monter les enjeux et la trame reste trop ordinaire, trop peu audacieuse, trop plan-plan au fond : on sent venir tous les rebondissements et l’ensemble est un peu mou.
Oh, et par pitié : tirez sur le violoniste.