Millenium : ce qui ne me tue pas
|de Fede Álvarez, 2018, *
Les Américains ont un problème : ils aiment les héros. C’est comme ça qu’entre Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, version suédoise, et Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, version américaine, on est passé d’un film noir bien noir où tous les personnages étaient subtilement détestables à un film noir ordinaire avec des héros bienveillants qui tentent de redresser les torts.
Et comme de bien entendu, pour leur deuxième film (basé sur la quatrième histoire, logique), les Américains vont plus loin. Non seulement Mikael est maintenant positif, consciencieux et beau gosse — son principal défaut, c’est de vaguement dragouiller sa secrétaire et d’autres —, mais Lisbeth est d’office une justicière masquée avec un passé de victime. La tonalité n’a donc rien à voir : on quitte totalement le film noir pour le thriller manichéen, gentils d’un côté, méchants de l’autre, avec une héroïne à la personnalité digne d’une tête d’affiche marvelienne.
À cette destruction méthodique de ce qui faisait le sel des anti-héros d’origine, il faut ajouter que la vraisemblance est désormais un souci extrêmement lointain. C’était déjà un peu le cas de La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette / La reine dans le palais des courants d’air, qui oubliaient le relatif réalisme et la sobriété glaciale du premier au profit d’une scénario d’espionnage alambiqué ; mais ici, plus rien n’a quoi que ce soit à voir avec une forme quelconque de réalité.
Brodant encore plus sur le passé de Lisbeth, Ce qui ne me tue pas tourne franchement à la jamesbonderie avec des rebondissements artificiels, des flashes-back littéralement incroyables et des postulats tirés par les cheveux. Le coup du chercheur en intelligence artificielle qui se fait piquer le logiciel de la fin du monde, okay, passe encore, on l’a vu mille fois mais pourquoi pas. Le coup de l’autiste génial qui connaît tous les codes, bon, voilà, ça commence à être une facilité scénaristique un peu trop vue mais admettons. Le coup du grand complot qui s’en prend aux héros, franchement, c’est un peu éculé, et le coup du passé terrible de l’héroïne qui resurgit sous la forme d’un membre de la famille qu’on croyait mort, ouais, boaf, voilà, quoi.
Maintenant, dites-vous qu’on a trouvé le moyen d’accumuler tous ces coups bas en moins de deux heures. C’est le fils naturel d’un James Bond, de Rain Man, d’un Jason Bourne et d’un Fast and furious, tout ça enchaîné à un rythme effréné mais absolument sans logique.
Ajoutons un truc inhabituel : c’est la première fois que je vous dirai de ne surtout pas voir un film en version originale. Vous connaissez mon avis : soit on tourne dans la langue de production, tout le monde parle naturellement anglais et tout va bien, soit on le fait dans les langues des personnages, tout le monde parle naturellement suédois, russe ou anglais et tout va bien. Là, on a pris des acteurs anglais, islando-suédois, néerlandais, américain, danois, luxembourgeois, et on leur a fait jouer en anglais des personnages suédois. Ça donne un gloubiboulga d’accents très variés, incohérent, qui ne correspond à aucune réalité. C’est rare au cinéma, mais la VO « sonne » très artificielle et, disons-le simplement, écorche les oreilles.
Bien sûr, c’est bien réalisé. Bien sûr, Claire Foy s’en sort avec les honneurs. Bien sûr, Pedro Luque Briozzo fait quelques très beaux plans et Tatiana S. Riegel est toujours une spécialiste du montage haletant et entraînant.
Mais un scénario bâti de bric et de broc, accumulant clichés et rebondissements illogiques, desservi par un casting qui fait ce qu’il peut mais ne parle jamais la langue qu’il devrait parler, même avec une équipe technique de grand talent, ça reste assez indigeste.