Les chatouilles

d’Andréa Bescond et Eric Métayer, 2018, ***

Lorsque Odette, ado­les­cente, arrive dans cette chambre de bonne pari­sienne, petite, sombre, mal aérée et tenue par une matrone qui la traite comme une intruse, elle est contente. Pas juste parce qu’elle va entrer dans une école de danse, matière qui la pas­sionne depuis l’en­fance ; mais sur­tout parce qu’ain­si, elle n’au­ra plus à voir Gilbert, l’a­mi de ses parents qui aime tant jouer aux cha­touilles — un jeu qui se joue sans culotte.

Reconstruction, étape 1 : trou­ver un fran­gin avec qui pico­ler, fumer et zoner. — pho­to Stéphanie Branchu pour Les Films du kiosque

Comment par­ler clai­re­ment de viol sans tom­ber dans le misé­ra­bi­lisme, com­ment par­ta­ger son his­toire sans (trop) l’é­dul­co­rer mais sans pour autant se défi­nir seule­ment comme vic­time ? C’est le défi d’Andréa Bescond, qui le relève d’une manière simple : racon­ter autant les pas­sions (les spec­tacles aux­quels elle a par­ti­ci­pé, les amis et amours qu’elle a croi­sés…) et la recons­truc­tion (la thé­ra­pie, en par­ti­cu­lier) que les agres­sions et leurs consé­quences — pro­cès, ten­sions fami­liales… Le résul­tat est évi­dem­ment un mélo, mais avec une dose comique et une tona­li­té glo­bale nour­rie d’es­poirs : la souf­france est natu­rel­le­ment pro­fonde, mais elle ne noie pas tout et il est pos­sible de rebâ­tir une personnalité.

La grande force du film est sans doute de ne pas trop juger ses per­son­nages, dro­guée, dea­ler, père abru­ti, psy dépas­sée ou autres. Même Gilbert, grand méchant mani­pu­la­teur de la pre­mière par­tie, se révèle plus ou moins petit pau­mé pathé­tique qui ne com­prend rien à rien lors de son procès.

Reconstruction, étape 12 : par­ler aux parents. — pho­to Stéphanie Branchu pour Les Films du kiosque

Il n’y a qu’une excep­tion : la mère, qui nie sans ver­gogne la souf­france de sa fille et lui reproche l’é­cla­te­ment fami­lial. Si une phrase (une seule) vient adou­cir un peu le per­son­nage, la seconde par­tie du film res­semble par­fois dou­lou­reu­se­ment à un règle­ment de comptes entre la scé­na­riste et sa mère, comme pou­vait le faire My lit­tle prin­cess par exemple.

Cela ne choque pour­tant pas trop, par la grâce de Karin Viard : elle tient impec­ca­ble­ment cette mère conser­va­trice et impi­toyable, lui donne corps et âme et arrive à lui injec­ter une dose d’hu­ma­ni­té qui ne trans­pa­raît guère du script. Ce n’est que le pre­mier point haut d’un cas­ting par­ti­cu­liè­re­ment réus­si, Cornillac étant juste assez dépha­sé pour être cré­dible, Deladonchamps pas­sant sub­ti­le­ment du ser­pent froid et cynique au petit enfant effrayé dans sa der­nière scène, et bien sûr Bescond ren­dant pré­ci­sé­ment tous les états que tra­verse son personnage.

Reconstruction, étapes mul­tiples : la danse, maî­tri­sée ou démem­brée, un élé­ment cen­tral du film. — pho­to Stéphanie Branchu pour Les Films du kiosque

Le manque de conti­nui­té, les nom­breux coq-à-l’âne, les contre-pieds inces­sants peuvent être évi­dem­ment cri­ti­qués. De fait, Les cha­touilles res­semble plus à une suite de séances de thé­ra­pie, avec leurs avan­cées, leurs reculs, leurs rac­cour­cis impré­vus, leurs ellipses et non-dits. Comme la séquence où Odette arrive défon­cée à un cours de danse, c’est explo­sif, ça part dans tous les sens, ça manque spec­ta­cu­lai­re­ment de tech­nique mal­gré un fond sen­ti­men­ta­le­ment très fort. L’émotion est puis­sante, mais le scé­na­rio est plus décou­su que le slip de Passe-Partout le jour où Jean-Pierre Coffe a essayé de le mettre.

Cependant, pour ceux qui sau­ront pas­ser sur ce bor­del mal maî­tri­sé, il res­te­ra un film sin­cère, tou­chant, pre­nant, com­plet, et une gale­rie de por­traits humains plu­tôt réussis.