Les chatouilles
|d’Andréa Bescond et Eric Métayer, 2018, ***
Lorsque Odette, adolescente, arrive dans cette chambre de bonne parisienne, petite, sombre, mal aérée et tenue par une matrone qui la traite comme une intruse, elle est contente. Pas juste parce qu’elle va entrer dans une école de danse, matière qui la passionne depuis l’enfance ; mais surtout parce qu’ainsi, elle n’aura plus à voir Gilbert, l’ami de ses parents qui aime tant jouer aux chatouilles — un jeu qui se joue sans culotte.
Comment parler clairement de viol sans tomber dans le misérabilisme, comment partager son histoire sans (trop) l’édulcorer mais sans pour autant se définir seulement comme victime ? C’est le défi d’Andréa Bescond, qui le relève d’une manière simple : raconter autant les passions (les spectacles auxquels elle a participé, les amis et amours qu’elle a croisés…) et la reconstruction (la thérapie, en particulier) que les agressions et leurs conséquences — procès, tensions familiales… Le résultat est évidemment un mélo, mais avec une dose comique et une tonalité globale nourrie d’espoirs : la souffrance est naturellement profonde, mais elle ne noie pas tout et il est possible de rebâtir une personnalité.
La grande force du film est sans doute de ne pas trop juger ses personnages, droguée, dealer, père abruti, psy dépassée ou autres. Même Gilbert, grand méchant manipulateur de la première partie, se révèle plus ou moins petit paumé pathétique qui ne comprend rien à rien lors de son procès.
Il n’y a qu’une exception : la mère, qui nie sans vergogne la souffrance de sa fille et lui reproche l’éclatement familial. Si une phrase (une seule) vient adoucir un peu le personnage, la seconde partie du film ressemble parfois douloureusement à un règlement de comptes entre la scénariste et sa mère, comme pouvait le faire My little princess par exemple.
Cela ne choque pourtant pas trop, par la grâce de Karin Viard : elle tient impeccablement cette mère conservatrice et impitoyable, lui donne corps et âme et arrive à lui injecter une dose d’humanité qui ne transparaît guère du script. Ce n’est que le premier point haut d’un casting particulièrement réussi, Cornillac étant juste assez déphasé pour être crédible, Deladonchamps passant subtilement du serpent froid et cynique au petit enfant effrayé dans sa dernière scène, et bien sûr Bescond rendant précisément tous les états que traverse son personnage.
Le manque de continuité, les nombreux coq-à-l’âne, les contre-pieds incessants peuvent être évidemment critiqués. De fait, Les chatouilles ressemble plus à une suite de séances de thérapie, avec leurs avancées, leurs reculs, leurs raccourcis imprévus, leurs ellipses et non-dits. Comme la séquence où Odette arrive défoncée à un cours de danse, c’est explosif, ça part dans tous les sens, ça manque spectaculairement de technique malgré un fond sentimentalement très fort. L’émotion est puissante, mais le scénario est plus décousu que le slip de Passe-Partout le jour où Jean-Pierre Coffe a essayé de le mettre.
Cependant, pour ceux qui sauront passer sur ce bordel mal maîtrisé, il restera un film sincère, touchant, prenant, complet, et une galerie de portraits humains plutôt réussis.