Black Panther
|de Ryan Coogler, 2018, ***
Alors voilà. Le vieux roi est mort, vive le jeune roi : il défait l’autre prétendant au cours d’une cérémonie vachement codifiée, monte sur le trône et devient le nouveau super-héros du Wakanda, petit pays africain replié sur lui-même mais riche et technologiquement avancé. Cependant, il s’avère que l’ancien roi a buté son frère, laissant derrière lui un autre prétendant au trône, un vilain très méchant. Celui-ci défie le nouveau roi dans une cérémonie ultra-codifiée, le jette dans la cascade, monte sur le trône et devient le nouveau super-héros du Wakanda. Comme tout super-vilain qui se respecte, il décide alors d’utiliser les capacités du pays pour devenir le maître du monde.
Ça fait beaucoup d’événements, mais ça, c’est juste la mise en place. Je vous fais grâce de la suite, je voudrais pas spoiler. C’est exactement aussi original que cette origin story que j’ai la vague impression d’avoir vue cent fois.
J’ai dû rater un truc. Il paraît que Black Panther est le premier film de super-héros africain de l’univers Marvel ; mais de l’Afrique, il n’est à peu près jamais question. Pas un mot sur l’exploitation du continent par le monde occidental, pas un mot sur la manipulation des conflits par les pays riches, pas même un mot sur la culture de ses penseurs et artistes. Ou alors, il faut arriver à voir tout ça dans la petite anecdote du début, où un artefact wakandais est volé dans un musée londonien pour devenir un sujet de trafic comme n’importe quelle corne de rhinocéros. Si vous y parvenez, vous avez une meilleure vue que moi.
Mon point de vue ? Le Wakanda est le pire des États africains, celui qui n’a même pas l’excuse d’être pauvre, celui dont les dirigeants laissent sciemment souffrir un continent entier sans lever le petit doigt parce que ça risquerait de compliquer un micro-poil leur vie. Le Wakanda n’est pas un État africain, c’est une caricature de tout ce que l’Occident a pu produire de pire : égoïste, égocentrique, méprisant, inhumain, il ne voit le reste du monde que comme une menace ou une terre à soumettre. Vous me direz que c’est volontaire, que ça permet justement de le faire évoluer, tout ça ; mais outre qu’elle arrive bien tard, cette évolution est présentée comme une preuve de grandeur du Wakanda, alors qu’elle ne montre que sa mesquinerie préalable.
Alors bien sûr, la direction artistique s’est inspirée de l’Afrique centrale et méridionale, tant pour les paysages que pour les costumes. Bien sûr, l’essentiel du casting est noir. Bien sûr, le soin apporté au design est visible. Mais ça ne change pas ce point fondamental : le Wakanda est, politiquement, une caricature des États-Unis rêvés de Trump, plus proche de La Zona que de quelque État africain que ce soit, qui malgré son opulence et sa technologie recourt toujours aux combats de gladiateurs pour décider de sa direction. Au fond, il représente l’Afrique aussi justement que Dallas et Santa Barbara représentaient les États-Unis.
Si on met de côté cet aspect politique, Black Panther est un énième film de super-héros, avec une énième histoire d’origines et d’héritage. Il tourne avec la précision d’un métronome suisse, avec un lot raisonnable de rebondissements surannoncés (c’est donc lui, l’enfant de la séquence d’ouverture ? Ça alors !), mais le rythme est parfaitement réglé. Les enjeux personnels ne brillent pas par leur originalité, mais une petite touche d’humour permet de tout faire passer avec plus de facilité que le premier Thor (autre histoire de prince héritier manquant d’originalité). Les effets spéciaux sont réussis, l’équilibre entre action et bavardage aussi, le casting est globalement très bon, bref, ça fonctionne.
Au fond, c’est un bon film de super héros, où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Le problème, c’est que le contexte du moment fait que rares sont les critiques qui se sont aventurés à relever son message politique, alors que c’est justement sur le plan politique qu’il fait haïr ses personnages — qu’il les voie comme des riches reclus qui vivent dans l’opulence en ignorant que leurs voisins crèvent de faim ou comme des nègres arriérés qui ne peuvent imaginer un autre système qu’un combat à mort pour résoudre les crises de succession.