Horse soldiers¹
|de Nicolai Fuglsig, 2018, ***
En 2001, les États-Unis envoient des hommes soutenir le Front uni islamique et national pour le salut de l’Afghanistan, plus connu sous le surnom (pourtant péjoratif) « Alliance du Nord ». Bien entendu, ils n’y connaissent pas grand-chose et n’ont pas vraiment compris que le Front uni n’existe quasiment que par la grâce de Massoud, qui vient d’être assassiné, et que ses différents groupes sont autant concurrents qu’alliés. L’histoire retient tout de même que le Front tient plus ou moins jusqu’à la chute du régime taliban, après laquelle l’Afghanistan redevient une poudrière pour les autochtones et un bourbier pour les étrangers.
Bref.
Le film suit fidèlement l’un des premiers groupes que l’armée américaine a envoyés soutenir le Front uni, la task force Dagger. Et quand je dis « suit fidèlement », c’est vraiment ça : le point de vue ne quitte pas le flanc des soldats. C’est extrêmement efficace sur le plan cinématographique, puisque le spectateur n’en sait jamais plus que les personnages américains et « vit » les opérations avec eux. Ajoutons une photo soignée, un montage nerveux, un réalisme de plutôt bon niveau (sans être irréprochable tout de même, on sent que certains passages sont quelques peu romancés), et des acteurs qui font leur taf avec une sobriété qui colle bien au sujet, et on obtient un film de guerre immersif et prenant.
C’est beaucoup moins efficace sur les plans historique et humain. La task force Dagger est associée au général Dostum, un Ouzbek remarquablement doué pour choisir son camp en fonction de son intérêt du moment, qui a réussi à se hisser jusqu’à la vice-présidence de l’Afghanistan en 2014 malgré des accusations de crimes de guerre. En 2001, Dostum était en exil depuis la prise de Mazar-e-Sharif par les Taliban et, lorsque les militaires américains sont arrivés, il venait de rentrer pour remonter une armée ; cependant, c’était un personnage politique connu dans la région, où il avait concrètement dirigé un État dans l’État à la fin des années 90. Mais pour le film, c’est juste un chef de bande en guerre depuis l’époque soviétique. On entrevoit tout juste la fragilité du Front uni, réduite à une rivalité entre Dostum et un de ses alliés, et on n’aperçoit nullement les conflits ethniques, religieux et politiques qui le traversent, pas plus que la puissance politique des groupes opposés alliés dans le front. Bref, le film ne montre rien de l’Afghanistan ; il montre juste un lot d’Américains envoyés là pour aider un gentil Afghan à taper de méchants Afghans.
Ce manque de perspective est un peu dommageable, parce qu’il donne finalement à l’histoire une linéarité et une évidence qu’elle n’a jamais eues. L’Afghanistan, depuis les années 80, c’est un gigantesque bordel où les alliances sont fluctuantes, où les inséparables d’un jour sont les ennemis du lendemain, où rien n’est jamais acquis et où de grosses armées ont toujours eu du mal à affronter de petits groupes mobiles. Mais ce que raconte le film, c’est l’histoire de deux groupes de combattants qui s’allient, apprennent à se faire confiance, et finissent par mener un conflit presque symétrique (merci aux camions lance-roquettes soviétiques, qui apportent opportunément un équilibre aux bombes des B‑52) pour libérer une ville tenue par un ennemi bien identifié.
En somme, sous prétexte d’embarquer le spectateur avec les soldats (ce qu’il fait avec un réel brio), le film sélectionne soigneusement ce qu’il montre et ne montre pas pour raconter non pas les événements historiques sur lesquels il se base, mais le beau scénario extrêmement américain que l’armée des États-Unis pensait vivre lorsque, à la mi-octobre 2001, elle a envoyé les détachement opérationnels Alpha 555 et 595 dans la vallée de Dari-a-Souf. À ce titre, Horse soldiers tient plus de la propagande nationaliste que du biopic, mais cela reste un film de guerre moderne, solide et extrêmement efficace pour les amateurs du genre.
¹ Après une longue délibération, le Comité anti-traductions foireuses a décidé d’admettre le retour au titre du bouquin initial, opéré par la distribution française alors que le film avait pour sa part adopté le titre 12 strong, qui a peu de sens en français, et le sous-titre The declassified true story of the Horse Soldiers, qui est un peu limite vu les simplifications spectaculaires apportées à la vérité.