The Post¹
|de Steven Spielberg, 2017, ***
À un moment donné, il fallait bien qu’on se pose la question, alors la voilà : Steven ne serait-il pas en train de vieillir ?
À ses débuts, c’était un expérimentateur, influencé par la nouvelle vague française, intéressé comme elle par la destruction des clichés narratifs et la recherche d’un cinéma inédit. Duel, c’est un Godard ou presque : quasiment aucun scénario, mais un point de départ à partir duquel dérouler une suite de scènes portées par une réalisation soignée et originale. Les dents de la mer, c’était une distraction millimétrée, parfaitement menée, reposant sur un montage haletant (qui manquait dramatiquement au précédent) et des plans audacieux. Rencontres du troisième type, c’était un scénario éclaté dont les diverses branches se répondaient et finissaient par fusionner. Bref, je vais pas tous vous les faire, mais le jeune Steven était un expérimentateur passionné, qui cherchait la nouveauté tant technique que narrative, que ce fût pour faire rire, faire peur, faire fondre ou faire haleter. Il y en a bien une paire que je n’ai pas vus, mais jusque dans les années 90, j’aurais tendance à dire qu’il n’a fait qu’un seul film vraiment classique, dans lequel il a eu la bonne idée de placer des Catalina et des Invader pour que je m’y intéresse quand même.
Mais depuis quelque temps, j’ai un peu l’impression que Steven a laissé la place à Monsieur Spielberg, un cinéaste de renom, bien installé dans un fauteuil sur mesures, qui enchaîne les films familiaux et les films historiques avec des méthodes calibrées qui ont fait leurs preuves. Qu’il s’agisse d’un quatrième Indiana Jones, d’un Tintin, d’un roman de Roald Dahl, d’une histoire d’invasion ou d’espionnage, il faut bien chercher pour trouver une réelle originalité apportée par le cinéaste ces quinze dernières années.
Tout cela nous mène à ce Pentagon papers¹, l’histoire de l’héritière du Washington Post, qui a passé sa vie à développer ses relations dans la bonne société, lorsqu’elle doit tout à la fois s’imposer comme la directrice de son journal et choisir entre ses amitiés politiques et la publication d’informations que ses journalistes ont rapportées. (Ainsi que ceux du New York Times, assez injustement mis de côté pour romancer un peu l’histoire.)
Le problème de ce film, c’est qu’il est incritiquable : tout est parfait, lissé, travaillé à la perfection. C’est une remarquable pièce d’orfèvrerie où chacun est précisément à sa place, reposant sur un scénario ciselé offrant un parallèle soigné entre l’air du temps actuel et le tournant des années 70, avec un casting de premier plan parfaitement dirigé, une photographie impeccable, un montage au rythme un peu lent mais irréprochablement maîtrisé, et même John Williams ne s’est pas cru obligé d’envahir le film. Si une chose est sûre, c’est que les équipes de M. Spielberg connaissent leur travail sur le bout des doigts.
Mais où donc est passée l’originalité ? Ce film parle des années 70 avec le style narratif des années 60. Il est d’un classicisme formel absolu, totalement dépourvu d’audace, maîtrisé de A à Z pour remplir parfaitement son office et ne surtout pas surprendre.
Le résultat est au-dessus de toute critique mais, en même temps, profondément calibré, lisse et aussi dépourvu de vraie émotion que la plus parfaite tomate hydroponique. On ne peut pas en dire du mal, mais il est psychologiquement difficile d’en dire du bien.
¹ Initialement baptisé The Post, il est distribué chez nous sous le titre « français » Pentagon papers, pour des raisons que le Comité anti-traductions foireuses ne veut même pas savoir.